Ah ! Voilà une séance qui me redonne foi en l’humanité ! Et j’insiste sur le terme. C’est la séance qui m’a rassuré sur l’humain, pas le film. Parce que oui, alors que se rallumaient les lumières dans la salle et qu’apparaissait le générique de fin, j’ai ressenti comme une bouffée d’air frais en saisissant les réactions qui fusaient tout autour de moi de la part des autres spectateurs. Ah ça : ça parlait beaucoup ! Et un mot revenait en boucle toutes les deux secondes ; un mot qui effectivement était celui que mon esprit avait lui aussi ressassé pendant l’heure-trois-quarts de ce film. Ce mot, c’était « chiant ». Oh ça oui : quel ennui ! En même temps quand on se décide à faire tout un long-métrage avec une seule et unique idée formelle, c’est le genre de chose à laquelle il fallait s’attendre. Alors, personnellement, je ne sais pas comment a été vendu le film, mais moi je suis persuadé que les distributeurs ont bien veillé à omettre cette information pourtant fondamentale concernant ce « Fils de Saul ». cette information c’est que l’intégralité du film est tourné en ne focalisant son cadre que sur le personnage central et sur quasiment RIEN d’autre. Oui, quasiment, car en tout et pour tout, je pense sincèrement que mis bout-à-bout, les rares moments où on ne voit pas le visage ou le dos de Geza Rohrig ne doivent à peine atteindre la minute sur l’intégralité de cette heure-trois-quarts. Oui, quand je dis que le cadre se focalise exclusivement sur son personnage central, je ne mens pas. Le réalisateur utilise manifestement une courte focale qui rend l’arrière-plan extrêmement flou, de la même manière que le choix a été fait de tourner en format 1,33, afin qu’on ne puisse pas trop voir ce qui se passe dans le dos de Geza Rohrig. Alors oui, c’est un choix, et oui ça génère quelque-chose qui peut présenter son intérêt. Assister à la Solution finale de manière crue, comme un détail au fond de l’écran, comme une banalité opératoire qui s’exerce parfois hors champs, au milieu des tâches répétitives et automatiques des Sonderkommandos, c’est vrai, ça génère une sensation qui est loin d’être anodine. Certes… Dans un premier temps je me suis même dit que je pourrais mettre 1 petite étoile à ce film juste pour cette idée là. Seulement voilà. Au bout de cinq minutes, le concept est exploré en sa totalité. Pourtant il reste derrière 1h40 à combler. Et c’est au cours de cette 1h40 que je me suis mis à progressivement vomir ce film. C’est tout le temps la même chose, la même scène, le même constat, sans que rien ne se créé, sans qu’on se décide à apporter quoi que ce soit de neuf. Non. Pendant 1h45, il te faudra manger deux heures d’holocauste hors-champ, non stop ! Pour ma part, excepté de la lassitude, ça ne m’a rien apporté. Or, je ne suis pas sûr que ce fût l’effet recherché. Seulement je ne vois pas ce qu’on peut obtenir d’autre à se complaire ainsi dans cet univers malsain. Et c’est de là finalement que de l’ennui, je suis passé à la colère. De la colère à l’égard de Lazlo Nemes, le réalisateur. Au fond, il a eu recours à l’astuce qui marche en ce moment pour les réalisateurs qui ne savent pas raconter d’histoire. A la manière d’un Steve McQueen ou autres frères Dardenne, sachant pertinemment qu’il ne savait pas manipuler les artifices formels d’une narration aboutie, Nemes décide de fuir le problème. Pour qu’on ne critique pas son histoire, il décide de ne pas en raconter. Il se cache derrière un sujet émotionnellement inattaquable. Il joue la carte de la surexposition de l’évènement choquant, prétextant livrer ainsi une réalisation au service de la vérité. Alors le pire, c’est que je suis sûr qu’il en aura encore pour vanter les mérites de ce type de cinéma. Ils diront que c’est du cinéma vrai et utile. Moi, la vérité que je vois, c’est que ce « Fils de Saul » est bien plus du cinéma racoleur que du cinéma utile. Je prends un sujet fort, et je te livre presque deux heures d’horreur sans recul et sans intelligence. Et on osera nous dire que ça, c’est utile. En toute honnêteté, les seuls qui trouveront ça utile seront ceux qui, comme moi, n’ont pas forcément besoin qu’on leur rappelle ce qu’étaient les horreurs de la guerre. Au-delà de ça, les seules réactions que ce genre de démarche peut entrainer, c’est – au mieux – juste un sursaut émotif qui s’évanouira aussi vite qu’il est venu et – au pire – une lassitude et un écœurement face à un sujet qu’on vient sans cesse nous rabâcher. Moi, je trouve que le cinéma m’est utile quand il enrichit ma sensibilité ; quand il me fait voir le monde autrement. Là, face à ce « fils de Saul », je n’ai ressenti qu’un dégoût assez primaire et rien de plus. Je ne vais pas au cinéma pour qu’on m’écœure. Je ne vais pas au cinéma pour être traité comme un primate à qui on ne parle qu’au travers d’un simple misérabilisme outrancier, sous prétexte que je devrais m’émouvoir, et que cette seule émotion, aussi primaire soit-elle, devrait me suffire. Alors après, il y en aura toujours pour s’appuyer sur les contre-champs en affirmant que la retenue est justement là. D’autre s’accrocheront à la démarche du personnage de Saul par rapport à son « fils », affirmant que se trouve là un propos métaphorique puissant et subtil… Effectivement, là encore, Lazlo Nemes a laissé suffisamment de « flou » (pour ne pas dire de « vide ») afin que des journalistes en mal de lyrisme puissent digresser à l’envie à ce sujet là. Tant mieux pour eux. Mais que cela ne dupent pas les potentiels spectateurs que vous êtes. Si vous aimez être exposés à presque deux heures de simple exposition macabre, jugeant que c’est utile pour vous, que cela fait partie de votre façon d’exercer votre devoir de mémoire, alors soit : « le fils de Saul » est fait pour vous. Si par contre vous espériez un regard subtil d’artiste sur la question, une œuvre qui explore vraiment un nouvel angle de vue sur la Shoah, ne tombez pas dans le panneau. Retournez vers les « Liste de Schindler » et autre « La vie est belle », parce que du côté du « fils de Saul », franchement, il n’y a vraiment rien à voir et presque tout à vomir…