Au-delà des Montagnes porte en son titre le mouvement fondamental qui le régit. Ce mouvement est d’abord celui des époques, trois âges de la vie que nous traversons avec, à chaque fois, ce même choc momentané résultant d’une remise en jeu des personnages dans un temps différent. En découle une évolution physique, d’ailleurs magnifiquement mise en images, qui reflète à elle seule le rapport qu’entretient l’être à son environnement tant extérieur qu’intérieur. Le film aborde l’instant d’une double manière : à la fois comme éventail de tous les possibles – le présent de l’action – et comme inévitable répétition qui enferme les histoires et leurs acteurs dans des cycles existentiels qui paraissent déjà vécus. Ainsi va la danse, ouverture et clausule du métrage. Ainsi vont les rites qui, chaque année, déploient leurs traditions festives. Car Au-delà des montagnes, s’il met en opposition deux générations – l’âge de la mère, l’âge du fils –, fait s’affronter également deux modèles existentiels radicalement antagonistes : l’un respecte la culture qui a vu naître et grandir l’enfant, le raccordant ainsi à son histoire profonde ; l’autre prônant un déracinement dans le seul but d’imposer une conception de la vie basée sur la réussite professionnelle et la fortune. À ce titre, l’enfant justement nommé Dollar devient l’équivalent de l’application « Google Traduction », soit la passerelle entre deux cultures qui ne se parlent que par intermédiaires et actes manqués. Là se tient le second mouvement du film, axé cette fois sur le langage. Ou comment deux individus, qu’ils parlent une même langue ou non, ne parviennent à atteindre ni à cerner la musique intérieure que joue l’autre dans son for intérieur. Il est aussi bouleversant que terrifiant d’observer les échanges douloureux d’un père et de son fils qui, bien qu’unis par un lien de parenté aussi fort, ne se comprennent plus. De même la mère ne reconnaît-elle son fils que par le souvenir qu’elle se fait de lui et les projets qu’elle construit pour restituer un semblant de vie et d’espérance sur les ruines du silence (la clef). Un troisième mouvement, tragique, perce ici : l’impossible réunion. Les personnages semblent destinés à se manquer, ils n’entendent qu’en échos lointains les paroles désespérées de leurs proches. L’écart géographique entre une mère et son fils, l’écart d’âge entre un élève et sa professeure, l’écart sensible entre un père armé et un fils désarmé, tout cela contribue à générer un vaste tissu composé de fils qui jamais ne se rassembleraient, une peau de chagrin qui s’use et use d’une façon similaire ceux qui y placèrent jadis foi et horizon d’attente. Le cadre adopté par le film suit avec intelligence la progression de l’être vers sa solitude : s’il commence par enfermer ses figures dans un carré à valeur de huis clos, il tend peu à peu à les libérer par une captation de la largeur qui vaut libération et écrasement dans un champ où la petitesse de l’homme éclate au grand jour. Ne demeurent alors que des signes de vie et des actes manqués, à l’instar des pétards et autres feux d’artifices qui éclosent dans le ciel avant d’y disparaître pour toujours.