Mais qu’il est étrangement vendu ce « Big Short »… A lire vite fait les présentations de la presse, il avait l’air de se présenter comme un bien sage film plaidoyer contre les malversations financières de la crise de 2008, un peu en mode « les hommes du président ». Pourtant, maintenant que j’en ressors, je trouve qu’on est bien loin de ça. A dire vrai, le paradoxe que je trouve à ce « Big Short », c’est qu’il s’agit là d’un film mutant qui ne cesse de cacher son jeu et de mettre du temps à se dévoiler vraiment pour ce qu’il est. Est-ce volontaire ? Ou bien est-ce la conséquence d’un réalisateur qui a mis du temps à se chercher au cours de son processus créatif ? Honnêtement, je n’en sais rien. Seulement, le résultat est là, et honnêtement, sur moi, ça a quand même vraiment bien marché. Pourtant, pour être totalement honnête avec vous, c’était loin d’être gagné au départ. En effet, durant tout le premier quart d’heure, le film ne cesse de switcher entre plein de styles et plein de démarches différentes. Et vas-y que je te mets des images d’archives en mode documentaire à la « Inside Job » ; vas-y que j’enchaine avec des images tournées en mode « found-footage » avec un cadrage qui s’égarent, un focus qu’on refait en plein pendant la prise ; histoire de faire vraiment « image réelle » voire « image volée »… Et pourtant, au milieu de tout ça, voilà qu’on retrouve aussi des scènes beaucoup plus classiques, dignes d’un thriller financier à la « Margin Call », avec même parfois des scènes assez what-the-fuckesques où d’un seul coup, Selena Gomez ou un cuistot new-yorkais peuvent nous faire une petite leçon de pédagogie au sujet de la finance d’aujourd’hui (véridique). Ce mélange des genres a clairement un côté foutraque qui peut en égarer plus d’un, car non seulement ça brouille les pistes par rapport à la démarche réelle du film, mais en plus la vitesse d’exécution ne facilite pas forcément la compréhension. Et pourtant, le temps allant, je me suis moi-même surpris à me laisser prendre au jeu, et c’est là que ce « Big Short » a fini par révéler son jeu. Au fond, sur le sujet du monde de la finance du XXIe siècle, « Inside Job » avait déjà exploré le côté pédagogique, « Margin Call » avait déjà exploré la dimension « thriller en huis-clos » et « Le loup de Wall Street » avait déjà exploré la fresque bigger-than-life de ces criminels dont on adore voir l’ascension puis la chute. Que restait-il pour ce « Big Short » ? Eh bien la réponse donnée par McKay est simple : il restait à chercher un point d’équilibre entre les trois. Et le pire, c’est que, sur moi, ça a marché. Et à mon sens ça marche d’autant mieux que, justement, McKay joue des codes et trompe sur les cartes. On s’attend à une certaine forme de résolution, à une certaine forme de cheminement, comme le font la plupart des thrillers (et c’est génial parce que c’est la posture dans laquelle sont aussi les personnages !) et voilà que le sol se dérobe sous nos pieds à tous en découvrant progressivement la réalité du petit jeu auquel tout ce petit monde s’est risqué. Et franchement, sur ce plan là, sur cette manière de nous amener sur la réalité de cette crise, « The Big Short » réussit franchement bien son coup. « Inside Job » nous avait dit que cette crise était la faute à de la manipulation ; « Margin Call » nous avait dit que c’était la faute au cynisme, et « Le loup de Wall Street » nous avait dit que c’était la faute à l’avidité et au manque de moralité. « The Big Short » lui tend à nous proposer un portrait complémentaire. A travers lui, on voit comment cette crise est aussi le produit d’une bêtise collective, d’un manque incroyable de maturité, de lucidité et d’intelligence. Non seulement je trouve ça pertinent, mais limite je trouve que ça fait un effet peut-être pire que les films précités. Les autres films m’avaient révolté. Celui-ci m’a fait peur. Et j’ai presque envie de dire qu’il ne m’a pas fait peur à l’égard du seul monde de la finance, mais il m’a clairement fait peur par rapport à l’humain. En cela, ce « Big Short » est quand-même balèze, parce qu’il parvient finalement à faire ce que peu de films plaidoyers arrivent à faire : ils élargissent leur perspective. Ce film, même dans plusieurs décennies, même si on arrive à quitter cette logique politico-socio-économique dans laquelle nous sommes (chose à laquelle je ne crois que fort peu), il aura encore ce pouvoir (du moins sur moi) de nous refiler la chtouille sur la nature humaine et le comportement des individus face à une situation donnée. En cela, ce film fait le boulot. Il m’a plu, il m’a parlé, il m’a apporté. Que demander de plus ? Voilà de quoi redorer une année 2015 bien moribonde en termes de cinéma…