Pour son neuvième long-métrage, Hirokazu Koreeda aborde l'un de ses thèmes fétiches: la paternité. Après Nobody knows (déjà candidat à la Palme d'Or) et Air Doll, le réalisateur signe un nouveau bijou, justement récompensé par le Prix du jury(méritait-il (au moins) le Grand Prix? C'est mon avis).Il l'admet d'ailleurs avec une certaine lucidité: "Je vais sans doute continuer à aborder la paternité dans mes prochains films jusqu’à ce que j’en comprenne les raisons profondes". Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est ambitieux. Car ce film en cerne déjà les dimensions essentielles, me semble-t-il.
Tel Père, tel fils est en cela, n'ayons pas peur des mots, un chef d'oeuvre. Le film démarre sur une scène symbolique de la réalisation de Koreeda: épurée, simple, humble et, authentiquement belle. Un père, un fils, une mère. Trois chaises, trois personnes, un mur blanc. "Je m'appelle Keita" fredonne l'enfant. Deux regards pleins de fierté. Deux sourires pleins d'amour. Tout est là, entre ses trois coeurs qui battent au rythme des deux autres. Derrière, devant, autour, le néant. La vie, c'est l'amour et la famille. Le ton est donné.
C'est en fait l'histoire d'un père et d'une mère qui découvrent que leur fils n'est pas leur fils biologique. L'accident est survenu le jour de la naissance: échange malencontreux des bébés. Dès lors, s'engage un questionnement foisonnant sur la légitimité du lien du sang. Le lien filial est-il d'essence biologique ou affective? Un père devient-il père par le lien du sang, ou par le temps passé avec son fils? Une autre scène illustre parfaitement à la fois les enjeux posés par Koreeda et l'histoire et la personnalité des personnages: au retour de l'hôpital, juste après avoir appris l'"incident", Ryota, le père, a cette phrase lourde de sens: "Tout s'explique". La mère le regarde, abattue, sûrement révoltée, et se tait. L'homme ne se sentait pas père. Ou du moins n'avait-il pas encore eu le sentiment d'aimer son fils de manière inconditionnelle. Il veut qu'il lui ressemble. Il a peur qu'il ne lui ressemble pas. Et là, on lui annonce qu'il n'est pas son fils. "Tout s'explique". Tout s'explique? Le film prend même des accents sociaux et politiques, quand la confrontation entre les deux familles, l'une bourgeoise et l'autre ouvrière, tourne à l'opposition "Qui est la meilleur famille? Quelle est la meilleure éducation?". Le réalisateur prend définitivement parti pour l'humilité quand Lily Franky, l'ouvrier, demande à Ryota, le manager, s'il veut qu'il prenne soin de son fils à sa place.
La question de l'échange provoque des déchirements qu'on anticipe, mais qui nous bouleversent d'autant plus que le réalisateur n'a pas la caméra tout à fait amorphe. Une mise en scène léchée, hyper-travaillée, alternant les plans à des moments forts, dans une harmonie proche de la maestria. Quelques scènes demeurent à l'esprit, encore après des semaines. C'est le propre des grands films. La scène du train ("Viens Keita, on s'en va, loin de tout" "D'accord..Et papa, où il est?" "Papa? Il travaille, papa." Lumière noire. Sombre lueur sur les yeux de la mère et du fils, alors que le train arrive à la gare), la scène de la photo de famille, du "Oui il t'aime plus que moi" devant la fureur de la rivière, la scène où Ryota découvre les photos de Keita, et surtout celle de la discussion entre Keita et son père, sur deux routes différentes, séparées par une haie. Magistral.