Hirokazu Koré-Eda renouvelle cette tradition du cinéma japonais subtil, délicat; une calligraphie tracée au pinceau le plus fin; en Europe on dirait: une aquarelle, et comme d'habitude, il parle de ce qu'il connait le mieux, les enfants -et des violences que les adultes leur font subir.
Ryota (Masaharu Fukuyama) est un brillant architecte. Il habite un magnifique appartement avec sa femme Midori (Machiko Ono) et leur fils unique de cinq ans, l'exquis petit Keita (Keita Ninomya); après un premier accouchement difficile, Midori ne peut plus avoir d'enfant. Ils adorent leur fils: mais, manifestement, Ryota ne se reconnait pas du tout dans son rejeton. Keita est facile; on le prépare déjà, dans son beau petit uniforme, à rentrer dans la meilleure école; on lui donne des leçons de piano, qu'il accepte sans mauvaise grâce. A l'audition, il est nul.... mais pas du tout attristé d'avoir raté, il applaudit de bon cœur les élèves brillants. Bref, c'est clair: Keita ne sera pas un winner, comme son Papa....
Coup de tonnerre: les parents sont convoqués par l'hôpital. Celui ci a la preuve qu'il y a eu échange de nouveaux nés, à la suite de la malveillance d'une infirmière frustrée. Le conseil qu'on leur donne: faire l'échange le plus vite possible.
L'autre père de famille, c'est Yudai (Lily Franky). Il tient un pauvre magasin d'électroménager (un petit boutiquier!), il ne fera jamais fortune mais il s'en fiche, puisque son boulot lui laisse le temps de s'occuper de son fils Ryusei, et des deux petits qui ont suivi. Choc culturel, même s'il n'a rien de caricatural (on n'est pas chez les Groseille et les Lequesnoy).
Les deux familles se fréquentent. Pour les deux mères, c'est facile: elles partagent le même désespoir. Elles peuvent pleurer dans les bras l'une de l'autre. Midori est toute prête à devenir amie avec Yoko (Yukari Saiki). Ce qui bloque, c'est l'arrogance de Ryota, qui est tout prêt à prendre les deux garçons: il a les moyens de les élever, lui! Ryota ne veut pas perdre. C'est pas son genre. Il veut tout gagner.
On échange les enfants pour une nuit, un week end. Keita n'est pas malheureux avec ce papa rigolo et joueur, et ce petit frère et cette petite sœur dont il rêvait. Ca se passe moins bien pour Ryusei, rétif à apprendre les règles de la bonne éducation bourgeoise...
Puis, vient le jour de l'échange définitif. Ce qui est terrible et que Kore-Eda nous donne à voir, c'est que pas un instant, on ne s'est soucié de ce que ressentaient les principaux protagonistes du drame: les deux petits garçons. On les a échangés comme des paquets dans une transaction commerciale. On ne leur a même pas expliqué ce qui leur arrivait. A la question "pourquoi aller chez ce nouveau papa?", Ryota n'a su répondre que "C'est une mission", comme si seul l'univers des jeux vidéo pouvait être le cadre de cette lamentable histoire. Oui, quelle violence fait subir la société japonaise aux enfants! (On ose imaginer que chez nous, où une armée de psys se serait abattue sur les familles, on aurait trouvé une solution moins violente
C'est un chef d'œuvre, et si vous n'êtes pas sortis de la salle avec la gorge serrée et les yeux humides, sortez de chez moi! Je ne veux plus rien avoir de commun avec vous. C'est un chef d'œuvre.