Il est aujourd’hui difficile d’entamer la critique d’un film de la saga « Alien », tant la secte geek connaissant les moindres détails des précédents opus se sont accaparés la doxa du bon goût, mais aussi tant il est devenu de bon ton de railler Ridley Scott à chacune de ses nouvelles productions, de manière plus ou moins justifiée. Appréciant la tétralogie initiale, et particulièrement le chef d’œuvre « Alien, le huitième passager », n’ayant pas forcément renâclé à la projection de « Prometheus », je partais avec un priori plutôt positif, ne demandant après tout qu’à assister à un film honnête de science-fiction.
Je ressors des deux heures de « Alien : Covenant » avec une impression pour le moins mitigée. Il y a en fait deux films en un seul. Le premier, un film « Alien » sans aucun doute, avec un côté "slasher movie" assumé, présente un scénario chancelant et des personnages peu consistants. Le synopsis est assez simple, voire simpliste. En 2104, le vaisseau colonial USCSS Covenant, ses quinze membres d’équipage et ses 2000 colons en hibernation, ses 1140 embryons humains, et surtout son androïde Walter, naviguent vers Origae-6, une planète au bout de la galaxie, pour y implanter une colonie. Mais après une éruption stellaire, plusieurs personnes sont tuées, dont le capitaine. En réparant le vaisseau, l’équipage reçoit un message mystérieux provenant d’une planète inconnue… nous connaissons la suite. Les vingt premières minutes du film sont plutôt réussies, avec le pré-générique sobre et efficace qui relate en flashback une conversation entre Weyland et l’androïde David, les premières images du vaisseau en sommeil et une superbe séquence s’attardant sur le déploiement des panneaux solaires de recharge, ainsi que la présentation rapide de l’équipage, certes un peu lacrymale durant les obsèques du premier capitaine. Il y a même ici une certaine élégance dans la mise en scène, qui nous change pour un temps des montages frénétiques de la plupart des blockbusters actuels. Alors quoi ?
Eh bien, tout part en sucette dès la première apparition des Aliens, d’abord sous une apparence néo morphe
. Disons-le tout net, le côté slasher du film le compromet entièrement. Les effets spéciaux sont très mauvais, faisant regretter la maîtrise des opus de la tétralogie, film de Jeunet compris. Aucun frisson ne peut décemment parcourir notre échine à la vue de ces monstres numériques, alors que l’angoisse, la peur et le suspens constituent justement le sel de ce type de films. Il est vraiment étonnant qu’un réalisateur comme Ridley Scott fasse fi des enseignements redécouverts par la vague de J-Horror du début des années 2000 : afin de foutre les miquettes au spectateur, il faut suggérer, et non montrer ! "Don't let the bedbugs bite. I'll tuck in the children." Par ailleurs, l’équipage n’est guère intéressant, malgré tous les efforts pour camper des personnages identifiables,
avec un second capitaine évangéliste intégriste, et divers couples dont un gay ; on sent d’ailleurs ici une certaine allégeance aux lobbies, plutôt qu’une démarche sincère, le trait étant par trop appuyé et redoublé dans une scène entre les androïdes David et Walter. De fait, les morts des protagonistes se déroulent dans une indifférence totale, couronnant bien plutôt une bêtise agaçante. Ainsi, décider de se rendre sur une planète non étudiée en grande partie pour ne pas retourner en hypersommeil (bravo les colons !), se trimballer sans masque en terre inconnue, foutre sa tête au-dessus d’un facehugger de plein gré et sans broncher, se séparer à la moindre occasion de l’équipe pour faire son bonhomme de chemin seul ou prendre une douche, sont autant de comportements aberrants qui recoupent toutes les attitudes à ne pas adopter dans un film d’horreur ; cependant l’intention ne semble pas parodique comme dans « Scream », mais très premier degré ! L’élégance remarquée au début du film se trouve même sérieusement compromise avec une seconde série de morts sous la douche (décidément) qui confine à la série Z. Un dernier mot sur ce premier film avec l’interprétation sobre voire mollassonne de la Ripley en herbe, Katherine Waterston, dont on a bien du mal à imaginer qu’elle fasse chavirer tous les cœurs, androïde compris !
Il y a pourtant un second film dans « Alien : Covenant », une mise en abyme dont l’intention est plutôt intéressante et ambitieuse. Ridley Scott tente en effet ici d’insuffler un background philosopho-mystique à son film, avec une réflexion sommaire sur les origines de l’humanité, le péché originel, le mal intrinsèque à la condition humaine, nourrie de quelques références littéraires. Alors certes nous ne sommes pas chez Terrence Malick, pas même chez Christopher Nolan, mais ce sous-texte pourrait permettre, à la rigueur, de pardonner la niaiserie des personnages, toujours guidés par leurs bas-instincts (dont, dans une vision extrêmement pessimiste, l’amour ferait partie), qui justifieraient à eux seuls une extinction totale de l’humanité. Plus riche encore est la manière dont Ridley Scott peaufine la mythologie de son monstre favori, particulièrement dans l’atmosphère sombre de la nécropole aménagée et couverte d’esquisses de H.R. Giger, qui nous montrent pas à pas la création de l’Alien le plus emblématique, sous sa forme xénomorphe.
L’échec d’« Alien : Covenant » tient donc à cette jonction ratée entre un film Alien fort mauvais et une réflexion mythologique qui déborde un peu trop du cadre. Tout cela déroute finalement le spectateur lambda, qui en toute bonne foi aimerait juste avoir les jetons ! Et en bon spectateur lambda, je ne peux que regretter le choix opéré par ce nouveau cycle fort mal engagé, qui s’embourbe avec son androïde démiurge dans un salmigondis autoréflexif qui cherche à tout expliquer, tout dévoiler, tout justifier... C’est avec toute la mauvaise foi du monde que je qualifie de « pas terrible » ce film, dans le désir inconsidéré que cette saga survive, nostalgique des impressions laissées par l’œuvre de 1979.