Saga devenue culte, Alien est un objet intouchable pour un bon nombre de fans qui à la suite du premier film de 1979 c'était crée leur propre mythologie autour de la créature et de l'univers conçu par Dan O' Bannon et H. R. Giger. Lorsque James Cameron, David Fincher et Jean-Pierre Jeunet étaient venus apporter leurs pattes à l'édifice dans 3 suites, les fans ont accepté voire même préféré certains ajouts fait par ces derniers, Aliens de Cameron étant pour beaucoup considéré comme le meilleur de la saga. Fonctionnant sur un système d'upgrade qui améliore ou modifie le Xenomorph plus qu'il ne l'explique, les suites n'entachait jamais l'aura mystérieux de l'original. Alors quand Ridley Scott retourna à la saga qu'il avait contribué à créer pour apporter des réponses à ce premier film via une nouvelle saga préquelle, c'était clairement jouer avec le feu. Car les fans ne veulent pas réponses qui pourraient égratigner le mythe qu'ils se sont forgés mais ils veulent être rassurer dans leurs propres certitudes. Ce qui a causé en grande partie le rejet de Prometheus, même si le film est relativement moyen à cause de réelles lacunes scénaristiques mais qui propose des pistes intéressantes, et ce qui cause surtout une haine féroce qui vient entourer ce Alien: Covenant, plus radical dans son bousculement de la saga.
Vendu comme un film qui assume beaucoup plus son appartenance avec la saga Alien, jusque dans le titre d'ailleurs, on aurait pu croire qu'il allait s'éloigner des réflexions amenées par Prometheus pour ne s'apparenter qu'à un remake déguisé du premier Alien. Mais Ridley Scott tient à rester raccord avec ces thématiques et les imprègnent dans ce nouvel opus. Beaucoup le traite déjà de vieux sénile et le compare à George Lucas dans sa démarche, mais il a une véritable vision sur son oeuvre qui marche ici de manière beaucoup plus symbolique que ce que Lucas avait entrepris avec sa prélogie de Star Wars. Ici, au delà de ses lacunes narratives, et il y en a, Alien: Covenant fonctionne avant tout comme un objet méta. Non seulement Scott se met à la place de son personnage principal, un androïde mégalo qui a un complexe divin et cherche la création parfaite quitte à semer la destruction, ce qui lui permet de prendre un recul pertinent sur le culte qu'il a crée mais en plus il retourne aux fondamentaux de sa filmographie. Car plus qu'évoquer Alien, Scott lorgne aussi du côté de Blade Runner.
Une influence marquée dès la brillante première scène, qui s'ouvre sur un œil renvoyant au plan iconique de Blade Runner, mais qui pose aussi les bases thématiques et les questionnements rhétoriques de ce Covenant. Ici ce qui intéresse Scott est la nature même du besoin de création, d'interroger la place du créateur face à sa créature mais aussi de montrer le besoin de reconnaissance de la créature vis à vis de son créateur. La machine qui se rêve humain, le fils qui veut être reconnu par le père. C'est là tout les enjeux de ce nouvel épisode qui va même balayer d'un revers de main ce qu'amenait Prometheus avec les Ingénieurs, la réalisateur n'est clairement pas intéressé par la mythologie avec un grand M mais au contraire cherche l'intimiste et reflète la beauté aussi fascinante et monstrueuse de ce qui est humain. C'est dans ses développements là que le film est à son meilleur, scénarisé par Michael Green qui s'occupe aussi du scénario de Blade Runner 2049 et qui montre que dans le domaine il sait gérer ses questionnements de façon intéressante. Mais faisant partie d'une saga bien plus vaste, Covenant à aussi un cahier des charges à remplir et c'est là qu'il paraîtra par moments assez peu inspiré.
En dehors de Davis, véritable héros de cette saga préquelle, les personnages manquent de substances surtout qu'ils dépendent un peu trop du prologue réalisé par Luke Scott et qui précède les événements du film. Ce court métrage permettait de faire connaissance avant l'heure de ces personnages et voir leurs liens entre eux pour s'y attacher un peu plus. Un effort que ne fera pas le film, prenant un peu trop pour acquis que le spectateur à forcément vu ce petit supplément. Mais si ce n'est pas le cas, on peut très vite se sentir détaché de ses personnages qui ne servent que de chair à canon malgré des acteurs impliqués. Ici Michael Fassbender mène la danse dans son double rôle, il est très bon notamment dans la dimension troublante de David. Katherine Waterston souffrira forcément de la comparaison obligatoire avec Sigourney Weaver mais l'actrice offre une prestation honorable et parvient vraiment à apporter une couche émotionnelle à son personnage. Tout comme Billy Crudup, impeccable comme à son habitude, mais surtout Danny McBride qui est la bonne idée de ce casting. Non seulement il est d'un naturel dont on n'attendait pas forcément de lui, mais étant surtout un acteur de comédie, il arrive à apporter une justesse à son rôle que ne possède pas forcément les autres. Mais malgré les efforts du casting, ils ne sont pas aidé par un scénario qui les néglige et fait définitivement le choix de se mettre du côté de la créature. Scott signe d'ailleurs un bel hommage au travail de H. R. Giger en reprenant certains de ses concepts originaux mais surtout en redonnant toute la dimension iconique du Xenomorph mais aussi en lui accordant une empathie comme on en avait pas vu à son égard depuis le premier Alien. Lui offrant une naissance pleine d'empathie et de tendresse par delà sa violence viscérale.
En terme de mise en scène, Ridley Scott doit aussi jongler avec les codes de sa saga. Il va d'ailleurs offrir un troisième acte peu inspiré faisant très remake de l'original mais qui se fait assez jubilatoire dans ses tentatives de pur slasher mais surtout qui redonne à la créature tout son aura hyper sexualisé. Le Xenomorph n'a d'ailleurs jamais paru aussi félin et imposant. Mais le final garde un aspect légèrement précipité qui manque d'impact, que ce soit dans un twist final trop prévisible et un affrontement final qui tient que sur quelques secondes. Néanmoins avant ça, Scott arrive à faire monter la tension habilement et fait preuve d'une sauvagerie visuelle qui fait plaisir à voir. Le film ne fait pas de concession sur la violence et offre quelques affrontements mémorables comme la première apparition du nouvel Alien qui offre une séquence brutale et maîtrisée de bout en bout. La mise en scène chirurgicale impressionne vraiment dans les deux premiers tiers notamment dans certains exubérances érotiques inattendues qui souligne un jusqu'au boutisme bienvenu loin du lissage systématique dont nous habitue un grand nombre de blockbusters actuels. Surtout que l'ensemble est soutenue par une réalisation de haute tenue entre la direction artistique toujours aussi inspirée, la photographie somptueuse de Dariusz Wolski et le score percutant de Jed Kurzel.
Alien: Covenant est un film radical dans sa démarche car il n'a pas peur de perturber encore plus un fan déjà fragiliser par les pistes lancées dans Prometheus. Ridley Scott continue de poursuivre ses obsessions autour de la création et du rapport entre le maître et son élève, l'héritage du père à son fils. Se rapprochant encore plus du mythe de Frankenstein de Mary Shelley, son film déstabilise mais fascine par ses exubérances et sa capacité à faire des choix dans une industrie de plus en plus aseptisés et moins enclin à s’aliéner son public. Ici le réalisateur déconstruit son mythe pour mieux le remodeler même si narrativement certains problèmes s'accumulent avec ses personnages sacrifiés et une autonomie aux abonnés absents. Car il est évident, et c'est son plus gros défaut, que le film ne se suffit pas à lui-même. Il est une porte ouverte à des suites déjà annoncées qui continueront à façonner l'idée que ce fait un créateur sur sa propre création, quitte à avoir tort. Alien: Covenant pouvant très bien être rejeté pour celui qui n'aime pas ses réponses, mais c'est mutation maîtrisée, efficace et tout à fait valide de la saga Alien. Et même si certaines incohérences persistent, elles seront probablement résolues dans les suites car Covenant n'est que le chaînon d'une oeuvre qui ne pourra être évaluée que lorsqu'elle sera complète. En l'état, Alien: Covenant est aussi perfectible que fulgurant, tout aussi bon qu'il est malade car encore incomplet.