Le succès de Naissance des pieuvres sorti en 2007 n'a pas fait perdre le nord à sa réalisatrice Céline Sciamma qui remet le couvert 4 ans plus tard avec un tout nouveau film. Loin du type de long-métrage que l'on s'attendrait à voir pour une deuxième réalisation, Tomboy se présente comme une histoire déroutante, intimiste et ensoleillée, marquée d'angoisse et de fraîcheur. Céline Sciamma montre, de par cette nouvelle oeuvre, son talent pour la direction d'acteur et l'a place en haut de l'échelle des réalisateurs indépendants français. Cependant le résultat final s'avère tout de même réservé à un certain public restreint, et pourrait laisser la majeur parti des spectateurs occasionnels de marbre.
L'histoire, rédigée en trois semaines par la réalisatrice, ressemble à une sorte d'hybride entre faits divers et conte de fée moderne . Tout d'abord les sujets abordés peuvent être considéré à eux seuls comme origine de tensions émotionnelles (l'enfance, le mensonge, l'homosexualité, le jeu, l'amour...). Les faits se déroulent de manière naturelle avec une certaine grâce nébuleuse et flottante qui semble mettre le temps en suspend. La scénariste-réalisatrice multiplie les pistes de réflexions et les situations amusantes. mais derrière chacune de ces expériences se cache une forme d'angoisse viscérale. En effet, il est clair pour le spectateur que ce petit jeu ne sera pas sans fin ni conséquence. Ainsi, le frisson est toujours présent : Comment notre jolie petite Laure va t-elle se faire démasquer? S'enchaînent alors des situations de tensions très excitantes : à chaque fois que quelqu'un manque de peu de découvrir la vérité, il est difficile de ne pas avoir un petit rire nerveux. Enfin, Tomboy touche avec beaucoup de justesse, de subtilité et d'humour le petit monde complexe de ces enfants à la fois complices et cruels.
Côté acteur, le réalisme atteint un tel paroxysme qu'il porterait à lui seul tout le film. Zoé Héran qui incarne notre héroïne (Laure) semble ne faire qu'un avec son rôle de jeune garçon manqué introverti, timide, doux et protecteur. Chacune des mimiques de la jeune actrice paraissent ressortir de sa véritable personnalité et donne à Laure une véritable essence, une existence. Par ailleurs, La petite Malonn Lévana est irrestible dans son rôle de petite soeur complice, hilarante et maline. Pour les autres enfants, ils semblent tous jouer leur propres rôles. Les parents, bien que très absents, sont également incarnés de manière très juste (mis à part le père qui paraît drôlement décalé de par son comportement assez inconscient et amusant dans plusieurs scènes). Diriger des acteurs, c'est pas facile, des enfants encore moins, et pourtant l'alchimie opère et c'est magique!
La mise en scène de Céline Sciamma immerge totalement le spectateur dans une sorte d'état second où la temporalité et la spatialité parraissent totalement indéterminées. il ne semble exister ici rien d'autre que les enfants et leurs petites histoires....et c'est là que tout se corse. En effet, le parti pris technique (plan souvent surcadré et parfois peu cadré, caméra à l'épaule, flou, son direct?) très fidèle à un "style" (si l'on peut dire) indépendant ravira sûrement beaucoup de spectateurs avides d'immersion sensorielle et de langueur, mais les autres risquent malheureusement de bloquer sur cet aspect, faire abstraction du reste et rester hermétique aux enjeux et à l'intrigue. Tomboy, plutôt de choisir la norme, la vulgarisation et le "calibrage" préfère donc cibler son public tel un film indépendant dans "la plus pur des traditions".
Tomboy s'avère alors être une fable douce-amère étonnante de fraîcheur et d'éspièglerie. Touchant et soulevant beaucoup de questions, le film nécessite d'être "pris avec des pincettes". Les acteurs sont géniaux, ce qui rajoute beaucoup d'intensité dramatique. Malheureusement le parti pris esthétique et rythmique risque d'en agacer plus d'un. Tout reste sur ce point, une question de goût car du côté technique le film semble globalement maîtrisé. De plus, une légère vague d'optimisme et de naïveté se dégage de la scène finale laissant un sourire au coin des lèvres. Un petit film touchant.