Je me rends compte que je n’avais pas fait la critique de Margin Call que j’ai pourtant vu plusieurs fois pour la bonne raison que c’est un authentique chef-d’œuvre. Tout est présent dans ce film, mais je dois dire que le point qui fait la différence par rapport à la concurrence dans ce genre, c’est l’étrange poésie que Chandor insuffle à son film. Il dégage en effet une étrange mélancolie, un sentiment de douce tristesse qui l’emporte rapidement sur le côté technocratique du sujet. La raison, je pense, en vient bien sûr du côté technique. Visuellement superbe, Chandor arrive à créer des atmosphères enveloppantes, usant de la nuit, des lumières des ordinateurs, des ambiances feutrées, il se balade avec une aisance rare dans ces hauts lieux de trading et conscient du côté abstrait de son sujet, il s’attache à ses personnages avec lesquels il jongle, là encore avec une maîtrise totale. J’y reviendrai. Margin Call a une superbe photographie, une mise en scène fluide et tirée au cordeau, des décors qui transpirent le soin du petit détail (d’ailleurs on appréciera les promenades hors de l’immeuble également), et le tout accompagné par une bande son discrète mais qui lorsqu’elle arrive est toujours appropriée (le morceau Wolves, si je ne m’abuse, rend particulièrement bien l’atmosphère mélancolique du film et sa poésie un peu triste). Le film est esthétique, mais son esthétique n’est pas que froideur, et j’en viens à l’autre aspect attractif du film et sans doute l’autre raison qui en fait pour moins un film incarné et poétique : sa subtilité. Bien sûr le métrage critique le trading, la haute finance, les comportements détestables du milieu, mais il ne fait pas que cela, et échappe à la caricature. L’ambiguité du personnage de Kevin Spacey par exemple apporte beaucoup de chair au film, de même pour le personnage de Zachary Quinto. Le film est vivant et on se retrouve par moment avec des figures dignes d’une tragédie grecque, confronté à des évènements qui les dépassent et tentant de faire face tout en gérant aussi leurs petits problèmes. Margin Call est un film technique mais d’abord humain, et Chandor, en s’attachant à ses personnages, mais en avant leurs émotions, leur ressenti, leurs contrastes, leurs défauts, et tout cela, plus encore que l’image je pense, donne au film un lyrisme puissant et hyper appréciable ! On ne voit pas le temps filé tant il y a du contenu, de la matière, de la vie et tant tout cela est intelligemment imbriqué. Evidemment, c’est d’autant plus sensible que le casting est énorme, et que tous les acteurs ont été judicieusement choisis. Spacey, Irons, Tucci, notamment, étaient tout trouvés pour leurs rôles, mais même des acteurs que j’apprécie moins, comme Paul Bettany sont parfaitement employés. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une simple galerie de célébrités, le film donne à tous ses personnages, même un peu secondaires, un vrai rôle et une vraie place, avec de l’épaisseur et une dimension humaine. Ca fait extrêmement plaisir de voir un film si bien écrit et si bien interprété.
En définitive, si vous avez peur de l’aspect technique du film, du côté verbeux, pas d’inquiétude, ce n’est pas l’essence du film. D’ailleurs, c’est finalement qu’une petite partie du film. L’essentiel tient dans ce portrait du monde de la finance que fait Chandor, critique mais pas manichéen, incisif mais toujours humain. Rigoureusement écrit, le film est tout aussi rigoureusement réalisé, et d’une esthétique irréprochable, c’est aussi un catalogue d’images superbes et iconiques. C’était pas simple de rendre beau ces open space froid et sans âme, mais Chandor y arrive ! Bravo à lui. Bref, un chef-d’œuvre à découvrir. 5