Un visage. Des cheveux trempés dans l'eau. Dans l'or. Des yeux azurs qui ne fixent rien. Un visage lumineux aux traits durs, terrifiant de pâleur et de beauté crispée. Derrière, des ailes tombent, lourdement. Le ciel n'est pas tout à fait sombre, des touches roses s'y parsèment, discrètes... Et le plan dure. Infiniment. Apparaît, soudain, sans fondu, une somptueuse image : un château élevé derrière une pelouse, verte, étendue, comme infinie, où dessus erre une silhouette blanche, fixant un cadran solaire, lui même regardant le soleil mourir, comme aujourd'hui le monde... Et encore, le plan dure. Puis, c'est un tableau, un vrai, qui s'affiche alors. Il s'agit de couleurs froides, pâles, noyées dans un blanc de neige où des chasseurs progressent. Des arbres s'y tiennent, des feuilles de cendres tombes : le tableau, brûle... Cela continue, et le pourrait encore. Un morceau de Wagner se délivre doucement, des notes comme chuchotées parsèment un autre plan, cosmique cette fois : une planète, la notre, et non loin de là, une lanterne rouge, se rapprochant...Puis, des personnages, enfin : la mère, courant sur l'herbe, son enfant dans les bras, échappant à la mort, pour quelques secondes encore, le temps de quelques battements, de quelques souffles, de quelques pas. Des pas, mués en galops pour ce cheval qui dans l'obscurité de la nuit, s'affaisse, se meure, s'écrase désespérément contre le sol. Des pas devenant battements, pour ces papillons qui, nombreux, paniquent, volent dans l'espace pour échapper au néant, qui guette, si proche...Encore, toujours : le plan dure, dure, dure. Jusqu'à ce que le plus beau survienne : la mariée sortant d'un marécage, sa robe empêtrée dans des filets de boue, courant toujours au ralenti, fugace lenteur. C'est la lumière sortant des ténèbres, c'est ce qu'est le film : la beauté surgissant de l'horreur, l'image sublimée du néant, mais du néant de soi : la dépression, la mélancolie, la tristesse. Lars Von Trier transforme ses lubies pessimistes en œuvres d'arts contemplative. Son regard brutal et sans pitié envers l'âme humaine en série de visages froids et durs, tableaux désincarnés reflétant le vide des êtres. Il fait de sa mélancolie un pouvoir de voyance, de connaissance, et de Justine (magnifique Kirsten Dunst) un prophète annonciateur de l'état du monde : "La vie sur terre est mauvaise", dit-elle alors à sa sœur, Claire, les cheveux en pagaille, l'air absent. Melancholia n'est donc pas un film sur la fin du monde. Pour le cinéaste, celle-ci est constante : le monde n'existe pas, les hommes ne sont que vide. Ici, le mari de Claire (Keiffer Sutherland, qui pour une fois ne pourra sans doute pas sauver le monde : belle ironie de la part du cinéaste) croit pouvoir acheter le bonheur ; et des collègues de Justine, sur les nerfs, viennent parler business, la harcèle à tout moment sur le travail à accomplir. Tout est vain, inutile. Plus que d'un cauchemar, le film est un rêve à la beauté envoûtante et à l'épure grandiose. Sa caméra est tremblante, en mouvement, tout le temps sur l'épaule, nerveuse, rageuse, mais parfois, retrouvant une certaine stabilité, elle inonde l'oeuvre de moments de pures instants de poésie esthétiques : Justine accueillent Melancholia, nue au bord de la rivière, pour une première fois sereine. La scène est trouble, belle, dérangeante, étrange. La planète Melancholia devient à ce moment là une possible incarnation de Justine, elle-même l'incarnation certaine de la mélancolie. De leur rencontre se dégage un sentiment d'harmonie véritable, échappant vraisemblablement à Claire, sœur de Juliette, observatrice de la scène. Celle-ci (tout simplement excellente Charlotte Gainsbourg), héroïne de la deuxième partie, cette fois antérieur à celle (un poil trop longue) du mariage attribuée à Justine, se rend compte qu'elle a tout à perdre : son fils, son mari, ses amis, et au contraire de sa sœur, cherche un moyen d'y échapper. Von Trier la regarde avec ironie, l'enferme dans des cadrages oppressant, la perd, cruel et sans pitié : de cela se dégage un bouleversement rare, une compassion à l'état pur. Et ce jusqu'à sa fin, plan somptueux et terrible : Justine et Claire, opposées mais main dans la main, et le fils de la seconde, (étonnant de justesse) ; allongés sous un simple tipi formé de quatre cinq branches attachées : Von Trier place, dans la grandiloquence, une touche de simplicité infantile et innocente. Et fait monter Wagner, comme il le fit au prologue, jusqu'au moment de la fin : Melancholia terminant sa course sur la terre, s'écrasant dessus désespérément, la mélancolie s'amoncelant donc définitivement sur les êtres. Point d'orgue et point final d'une œuvre grandiose. Fugace et contemplative, hurlante et douce : immense. 18/20.