Ahaha sacré Nicolas. Le succès public c'est pas bon pour la créativité et l'image d'artiste maudit que depuis toujours tu te traînes, sans compter qu'on te pardonnera moins aisément tes dépressions si jamais l'argent et les spectateurs commencent à abonder. Quoi de mieux dès lors que de saccager violemment la recette de ton film précédent, ce succès surprise qui t'aura sans doute toi-même décontenancé ? Quoi de mieux que de pervertir ton jouet, de tromper tout ton monde avec des bandes annonces allusives et des affiches où Ryan porte beau dans son costume de soirée ? Tout ça pour mieux, une fois les spectateurs captifs de la salle, fouler au pied la tronche de la vedette idolâtrée, lui refaire le coup du sparadrap de Nicholson, mais en transformant cette fois sa gueule en steak sanglant et avarié à la moitié du métrage. Ton précédent protagoniste était sans peur, sans famille, sans affect, immortel, celui-ci sera englué dans un oedipe sordide, dans un business crapuleux, sera velléitaire, émotif, hésitant, constamment battu, constamment perdant. Tu détestes Ryan Gosling ? Tu adoreras ce film. Tu adores le cinéma de Nicolas Winding Refn ? Tu l'adoreras également, car tu y retrouveras tout ce qui fait la quintessence de son cinéma : cette dimension contemplative et onirique, cauchemardesque surtout, où fantasmes, représentation mentale et réel s'enchevêtrent sans que l'on puisse jamais vraiment déterminer où l'un commence et l'autre s'achève. Le cinéma de Refn, et ce film en est encore l'illustration, trouve son essence sonore et visuelle dans le cinéma d'horreur, avec ces nappes vrombissantes et étranges, ici complétées par des musiques rituelles martiales et de jolis morceaux de karaoké (:bluesbro:/>/> ), ou encore cette photo écarlate teintée de néons rubiconds et de gerbes de sang qui jaillissent lors de déchaînements de violence subits et paroxystiques (à ce titre, la scène du cabaret, où des yeux se fermeront de diverses façons, m'a été personnellement très éprouvante). Tu voulais voir Drive 2, tu te retrouveras devant Bad Lieutenant in Bangkok, tant le personnage de l'inspecteur, garant d'une justice divine donc inhumaine, infaillible et tranchante, vampirise tout le film et s'accapare la majeure partie des attributs dévolus au driver du précédent. Kristin Scott Thomas en mère incestueuse et cannibale n'est pas le moindre des contre-emplois du film, et oui, puisque vous posez la question, on verra bien son fils s'introduire en profondeur dans sa matrice. Bangkok, à l'instar de L.A, subvertie par la caméra de NWR, se mue en une cité poisseuse et fantasmagorique, presque continûment nocturne, un Enfer étrangement doux et languissant dont on ne saurait s'échapper, surtout si l'on est Américain. Only God Forgives, c'est un peu comme si le cinéma asiatique défonçait la gueule d'Hollywood avant de lui couper les deux mains. Un bon cru rouge sang à la limite de l'autisme façon Valhalla Rising, un désastre public annoncé passé la première semaine, un putain de film une fois encore. Bien ouèje Nico.