Le comportement tout bonnement honteux dont on fait preuve les spectateurs de Cannes hier matin après la première séance du film montre bien une chose: Refn est un réalisateur qui ne laisse pas indifférent, et Only God Forgives ne laissera pas indifférent non plus, qu’on l’aime ou qu’on le déteste. Car autre point très important, Drive, qui est l’un des seul film du réalisateur que la plupart des gens ont vu, était une sorte de parenthèse dans la filmographie de Refn, son film le plus axé "Grand public" si on peut se permettre l’expression, Drive étant tout de même l’un, si ce n’est même le meilleur film de l’année 2011. Le cinéma de Refn a toujours été très lent (et lent ne veut pas toujours dire chiant, sachez-le), très visuel et esthétique, créant toutes sortes d’univers oniriques envoûtants, qui nous transportent au coeur même des histoires qu’il nous raconte. Et chaque film de Refn a son propre ton, son propre univers, et sa propre façon d’être mis en scène, bien que le style soit tout le temps le même. Et c’est cela qui fait de Refn un excellent réalisateur. Ce qui fait la particularité d’Only God Forgives, c’est qu’il ne présente pas de séquence d’introduction. En effet, on prend le film sur le moment, comme si l’on venait d’arriver à Bangkok et qu’on se retrouvait au milieu de l’histoire, le scénario allant vraiment au plus simple. On ne nous dit pas qui sont les personnages, ni d’où ils viennent, et ni ce qu’ils font. Ces informations ne seront données qu’au cours du film, de façon anodine, dans les quelques dialogues du film. Car oui, le film reprend le style si particulier de Refn, qui préfère parler par l’image, et par métaphores et références mythologiques en tout genre (bien entendu, difficile de parler clairement de celles-ci après seulement un visionnage, mais la plus évidente reste le complexe d’œdipe, qui ici saute aux yeux). La photographie, élément toujours très soigné et travaillé dans le cinéma de Refn, est encore une fois l’une des plus grosses réussites du film, avec un travail sur la lumière et les couleurs absolument formidable, qui n’est pas sans rappeler un certain Enter the Void de Gaspar Noé. Il y a une ambiance morbide très efficace qui est mise en place, créant un sentiment de malaise constant, accentué par la musique oppressante de Cliff Martinez, redoutablement efficace, notamment dans les scènes d’actions qui sont d’une brutalité et d’un sadisme assez jouissifs. Seulement on pourra avoir quelques réserves, puisque d’un autre côté la mise en scène manque un peu d’ampleur, sans doutes dû au côté très intimiste des décors qui deviennent parfois un peu étouffants, mais qui, paradoxalement, jouent également un rôle important sur la réussite de l’ambiance. A noter cependant une scène de combat assez grandiose, filmée avec beaucoup d’aisance et de grâce. Pour ce qui est des acteurs et des personnages, on retrouve la définition type du héros, ou plutôt anti-héros Refnien, c’est-à-dire un héros mutique, rôle qui va d’ailleurs à merveille à ce cher Ryan Gosling, qui une nouvelle fois prouve son talent à pouvoir passer des émotions uniquement par le regard, puisque le regard est également un élément type du style de Refn. Cependant, la volonté du film de constamment dévaloriser le personnage entre en contradiction avec le charisme et la prestance dont fait preuve Gosling, mais offre d’un autre côté une complexité très intéressante au personnage. Finalement, la déception ira plutôt du côté de la performance de Kristin Scott Thomas qui, bien qu’elle soit à contre-emploi, est constamment dans l’excès. Elle a bien réussi à cerner et s’approprier le personnage, seulement celui-ci étant très outrancier et un peu caricatural, sa prestation souffre de ces mêmes petits défauts. Et enfin, il faut parler de cet inconnu du nom de Vithaya Pansringarm (rapidement aperçu dans le Very Bad Trip 2 de Todd Phillips) qui, bien qu’il soit très bon et que son côté impassible soit assez intéressant, n’arrive pas à donner de l’intensité au personnage, à le rendre inquiétant, excepté une scène qui est d’une telle violence, qu’on appréhende un peu quant aux limites que celui-ci s’imposera. En conclusion: c’est un gros coup que frappe Nicolas Winding Refn avec Only God Forgives, un film surprenant, qui marque son retour à un style moins hollywoodien et plus contemplatif demandant un réel effort de réflexion et d’analyse à son spectateur. Avec son esthétique époustouflante et d’une beauté rare, nous plongeant dans un univers onirique macabre mais envoûtant, et porté par un Ryan Gosling qui s’illustre encore une fois dans un rôle qui semblait fait pour lui. Du côté des réserves on notera une Kristine Scott Thomas qui en fait un peu trop, et un manque d’ampleur dans la mise en scène, si on excepte la scène de combat qui dégage beaucoup de grâce, bien que le côté intimiste joue un rôle important sur le ton et l’ambiance du film. A voir donc, mais à conseiller uniquement aux spectateurs les plus avertis et les plus préparés, non pas parce que le film est violent, mais parce que (on ne le répétera jamais assez) Only God Forgives, ce n’est pas Drive, et parce que le cinéma contemplatif et un style de cinéma très particulier auquel il faut accrocher pour pouvoir l’apprécier.