Avant de regarder ce Grandmaster, nouvelle version de la vie d'Ip Man, grand maître de boxe Wing Chung et mentor du petit dragon Bruce Lee, le doute m'assaillait. Le film valait-il le coup, après le récent diptyque sur un personnage que Donnie Yen avait élevé au rang d'icône ? Ces craintes, celles principalement d'un reboot uniquement destiné à surfer sur la déferlante Ip Man, ont été levées. Mais si j'étais loin de les avoir, bien d'autres craintes auraient pu, au sortir de cette version signée Wong Kar-Waï, trouver confirmation. Différent des deux films de Wilson Yip et donc loin du copié-collé, The Grandmaster l'est assurément. Kar-Wai se refuse en effet au schéma classique du film de kung-fu, celui d'un parcours initiatique jalonné d'épreuves se soldant par un accomplissement entériné par un combat final ou le drame prend toute son ampleur. Il préfère donner à son film une lecture plus intellectuelle, pour en faire une oeuvre sur la recherche de soi. Il y ajoute d'ailleurs un amour impossible et platonique entre la géniale Zhang Ziyi et son héros Tony Leung Chui Waï. Découle quand même du film une beauté indéniable, emmenée par un refus du stéréotype qui apporte une vraie impression de vérité. Cependant, Wong Kar-Waï saborde le tout par les constantes oscillations qu'il imprime au ton de son récit, entre romanesque, romantique et historique, incapable de mélanger les trois autrement que dans une tambouille parfois indigeste (quand il ne les segmente pas carrément) là ou Wilson Yip faisait de son Ip Man une oeuvre conciliant les trois genres simultanément, et jouissant de fait d'une portée émotionnelle et dramatique sans cesse renouvelée. Le pire vient de surcroît du scénario, embrouillé, inapte à renforcer un propos qui ne passe en force que par quelques jolies scènes. Là où j'accorde en revanche un crédit des plus sincères au réalisateur chinois, c'est quand à sa maîtrise des combats, à l'ode qu'il chante au mouvement pris dans l'instant pur, loin de ses conséquences. Kar-Waï filme en slow-motion, à l'aide de plans serrés, ce qui nuit certes à la lisibilité de la vue d'ensemble mais nous rapproche indéniablement du kung-fu pur, pris comme fin et non comme moyen. Vraiment j'aurais aimé aimer The Grandmaster. Mais trop de longueurs et de maladresses m'en empêchent. Terminons quand même par une mise en garde claire dont vous avez peut-être déjà pu deviner la teneur grâce au reste de cette critique ; la vie d'Ip Man n'est ici qu'un prétexte, et la raconter n'est pas la raison d'être principale de The Grandmaster. Ce qui aurait, de toute façon, été étonnant de la part d'un réalisateur bien plus habitué au drame et à la romance qu'au film d'arts martiaux pur et dur.