Dead Man est un film de fantôme. Dès la première séquence dans le train (qui n’est pas sans rappeler la séquence initiale de La Clepsydre de Has), le personnage de Bill Blake nous apparaît comme déjà mort. Le voyageur qui s’assoit en face de lui, le visage creusé et squelettique, lui annonce sa mort, dans le bateau, comme s’il s’agissait d’un souvenir (« Cela ne vous rappelle pas… »). Blake n’est-il pas finalement un fantôme venu hanter ce grand Ouest américain, comme le pense l’indien Nobody? Le voyage que Blake entreprend en compagnie de Nobody devient une sorte de parcours initiatique, une élévation spirituelle libérant le fantôme qu’il est et lui permettant, enfin, de partir en paix vers sa seconde mort. Mais au-delà du personnage de Blake, Dead Man est surtout un «western fantôme», interrogeant le cinéma américain mais aussi la culture américaine. Finalement, c’est le genre même du film de western qui apparaît ici comme fantomatique, et la libération spirituelle de Blake s’apparente à un exorcisme de tous les mythes fondateurs de cette Amérique qui s’est construite dans la violence et dans le sang. Jarmush retourne complètement les codes du genre: c’est un blanc qui devient tueur de blancs, au côté des indiens. Le fantôme des mythes fondateurs américains, illustrés par la grande tradition des westerns, ne peut retrouver la paix que par la communion des 2 cultures. Cette communion se réalise grâce à la poésie. C’est elle qui unit Blake et Nobody, celui-ci voyant en Blake la résurrection du célèbre poète anglais du même nom. Dead Man est aussi un beau film, très musical, au rythme onirique et hypnotisant, dont les séquences sont entrecoupées de fondus au noir apaisants, illustrant les pertes de conscience de Blake. Toute la mise en scène du film s’apparente ainsi à la dernière séquence, sur la barque, de "La Honte" de Bergman. Et la fin du film, le voyage vers la mort de Blake, sur son embarcation, en est un hommage évident. Le chef d’œuvre (le seul?) de Jarmush.