Après une incursion de triste mémoire en terres américaines, qui s'acheva dans la fureur avec le saccage de Babylon A.D (projet éminemment personnel), Matthieu Kassovitz revient derrière la caméra pour un sujet on ne peut plus tricolore. Encore bien remonté, le Kasso ? On pourrait le croire, le script étant tiré d'une page méconnue et vraiment pas glorieuse du corps politique et militaire français. Mais j'aurais tendance à penser que le réalisateur a tenté un geste similaire à celui de Steven Spielberg avec Munich (auquel il a participé lui-même). Ce geste, c'est une main tendue vers la réconciliation. Avec l'Histoire, dans ce qu'elle peut renfermer de plus rude et regrettable. Mais d'un autre côté, on pourrait aussi y déceler un poing tendue face aux basses et égoïstes machinations politiques. "Ça nous dépasse" entend-on de la bouche du Christian Prouteau fictionnel, au moment où le médiateur Philippe Legorjus saisit toute l'horreur de la situation. Quand ceux qui sont au cœur du dispositif de négociation voient le terrain se dérober sous leurs pieds, du fait de commandants en chef polarisés sur la campagne présidentielle...à presque 17.000 km de là.
Sous bonne inspiration, le metteur en scène livre plusieurs scènes très inspirées, parmi lesquelles un plan-séquence sur 2 temporalités et le final caméra au poing. Les 136 minutes du long-métrage sont oppressantes, jamais flottantes même dans les séquences de bureau, elle-aussi montée au cordeau. Techniquement, le film est ce que le cinéma français peut offrir de plus beau (de la photographie au montage, sans oublier l'ambition). Le choix de commencer par le résultat pour remonter ensuite le temps est par contre contestable. Non pas qu'elle empêche la tension, mais le fait de connaître l'issue semble cloisonner le récit à une narration qui n'autorise pas d'imprévus. C'est compréhensible mais je ne pense pas que c'était la meilleure option.
On pense souvent à Platoon ou Michael Mann, sans oublier Spielberg évidemment, avec une caméra très véloce et très précise. Il y a bien sûr la critique (très forte) d'une chaîne de commandement viciée en son cœur, et celle d'une classe politique déshumanisée par l'apparat et les postures calculées. En creux, il y a également l'hommage aux sacrifiés, ces contestataires qui voulaient seulement être entendus ou reconnus. Mais aussi les populations épuisées par un conflit qui n'a fait que perdurer. Le jeu des acteurs est parfois raide, mais la distribution est majoritairement exemplaire : Kassovitz lui-même, Philippe Torreton, Iabe Lapacas ou l'excellent Jean-Philippe Puymartin (également voix française de Tom Hanks). L'Ordre et la Morale se fait le porte-voix d'une diplomatie qui a troqué les mots pour les maux. Ambitieux, fort, inégal mais diablement sincère.