Il n’est pas anodin que le titre retenu par Bertrand Tavernier, In the Electric Mist, tronque une partie du titre du roman écrit par James Lee Burke, In the Electric Mist with Confederate Dead (1997), ici adapté. Car si le cinéaste respecte la trame du récit, ses personnages et ses retournements, il investit le fantastique d’une façon réaliste qui paraît de prime abord excessive, à la limite du grotesque. Que viennent faire des confédérés zombies au sein d’une enquête policière se déroulant des décennies après la guerre de Sécession ? Tavernier nous fait la surprise de leur présence en épurant son titre pour n’en garder que sa charge mystérieuse, ladite brume électrique qui s’incarne à l’écran par une désaturation certaine des couleurs, une chaleur qui rend les corps moites et les marais puants, une lourdeur générale qui enracine les personnages dans le sol de la Louisiane. Ainsi, il nous change en enquêteurs chargés de démêler le vrai du faux, de réorganiser les éléments dans l’ordre ; dit autrement, il met son spectateur « dans le brouillard ». Nous comprenons alors peu à peu la démarche du cinéaste, démarche qui n’a de cesse de jalonner son œuvre : faire figurer la permanence du passé dans le présent. Tout, depuis les individus jusqu’aux paysages désolés par les ouragans, en passant par les prouesses de Dave au baseball et son amitié d’autrefois avec Balboni, flotte devant nous à la manière de fantômes : la vie semble avoir déserté ou s’être dégradée à l’état de marécages. La Louisiane apparaît tel un moyeu bourbeux autour duquel gravitent et s’enlisent des tares : alcoolisme, réseaux de prostitution, cruauté et films financés par la mafia dont les vedettes titubent ou foncent à toute allure au volant de leur voiture de sport. Tavernier donne vie à un microcosme dégénéré et interroge l’essence même de la transmission par le biais de la petite fille adoptée : pourquoi se battre quand le lien social se dégrade et que la morale part en lambeaux ? quels repères donner à la nouvelle génération ? Le personnage interprété par Tommy Lee Jones est obsédé par cette question, au point de s’ériger en dernier chevalier d’un ordre aux limites de la légalité, un chevalier qui tire de sa quête son utilité et son identité. Comme L’Horloger de Saint-Paul, In the Electric Mist compose une figure de père dépassé par les événements qui va, par son entêtement et sa détermination à rétablir la vérité, refuser le monde tel qu’on le donne à voir – dans lequel les hommes sont des ripoux et les femmes des filles de joie que l’on massacre par plaisir – pour y restaurer non pas tant une morale que la conscience de la filiation avec son passé, à la fois passé de l’individu et passé de l’humanité. Les coupables se voient, à terme, raccordés aux spectres qui les hantent comme notre héros voit disparaître le général John Bell Hood une fois l’affaire et son alcoolisme résolus. Voilà donc un long métrage intelligent et intrigant de bout en bout, quelque peu théorique par instants et qui souffre d’incursions réalistes dans le fantastiques bien peu crédibles.