Dense, de facture classique tout en étant subtilement décalé, voici un film qui compte et qui plait. La grande réussite de Bertrand Tavernier est de réussir, à partir de ce qui aurait pu être un polar classique, à faire un film qui tour à tour dérange, étonne, questionne, nous projette hors de la course classique de la poursuite réglée d'avance entre le shérif et sa proie.
Sous des aspects bien léchés se cachent des questions, une quête dans laquelle resurgit peu à peu un passé oublié, refoulé, des sueurs froides,et aussi, parfois, de la chaleur humaine. Cette qualité psychologique donne au film sa profondeur; Tavernier joue admirablement sur la Louisiane et ses bayous, ses forêts inondées sur lesquelles rode la brume de l'oubli, celle qui cache souvent pudiquement les pires choses. Ce pire, ce sont des crimes atroces dont l'auteur, mystérieux, se révèle peu à peu être peu à peu un monstre parfait, violent, cynique, implacable, plein d'une haine brute.
A la fois paisibles et angoissants, ces paysages qui montrent une terre qui n'en est pas une, un espace à la nature mal définie entre eau et sol, plongent le spectateur dans un état lui aussi , intermédiaire, vaguement nauséeux, privé qu'il est d'une assise ferme. Rien n'est sûr dans ce film, on navigue entre le subjectif et le réel, le rêve, le cauchemar, les faits - et on ne sait jamais où on est vraiment: la terre ici non plus n'est pas ferme...
Tommy Lee Jones est parfait, totalement crédible, investi, habité par un violent désir de mettre fin à ces crimes abominables mais aussi d'aller plus profond en lui, quêter les réponses qui gisent au fond de sa mémoire . La pirouette finale laisse ouverte la question du vrai et du faux, de la réalité et du rêve. Film entre terre et eau, entre passé et présent, réel et fantasme, on se laisse volontiers perdre dans cette brume magique.