Grand connaisseur du cinéma français, particulièrement celui des années 40, Bertrand Tavernier possède aussi une grande culture du cinéma américain, puisqu'il a notamment coécrit un dictionnaire de référence sur le cinéma US. C'est la deuxième fois qu'il tourne aux Etats-Unis, 25 ans après "Mississippi blues", le documentaire qu'il avait signé avec Robert Parrish. Cette connaissance du système hollywoodien ne l'a pas empêché de connaître le même sort que de nombreux réalisateurs européens dans sa collaboration avec les producteurs locaux, et "Dans la brume éléctrique" ne sort qu'en DVD aux Etats-Unis, et dans une version tronquée, et il n'a pas pu dédicacé le film à Philippe Noiret qui partageait son amour du roman, la DGA (Director's Guild of America) et WGA (Writers Guild of America) lui ayant signifié que s'il faisait cela, cela diminuait les statuts du metteur en scène et des scénaristes...
On comprend ce qui a pu attirer Tavernier dans le roman de James Lee Burke : l'ambiance bien particulière de cette Louisiane profonde où les habitants s'appellent Robicheaux, Girard, Patin ou Doucet, l'importance accordée aux particularités des personnages au détriment de la linéarité de l'intrigue, le soupçon de fantastique introduit par les appartition du général boîteux, et sans doute aussi l'idée de glisser Tommy Lee Jones dans la peau de Dave Robicheaux.
Pourtant, malgré une bonne histoire, une distribution prometteuse et un réalisateur talentueux et chevronné, le film ne réussit jamais à se dégager d'une certaine forme de brume même pas électrique. Les choix de réalisation (cadrages, mouvements, photographie) ne sont pas vraiment en cause, puisqu'ils semblent adaptés au propos. Cette impression de nébulosité repose d'abord sur l'histoire elle même, faite de fausses pistes, d'enjeux parallèles, de ruptures de rythme qui finissent par dérouter le spectateur le mieux intentionné.
La dimension chimérique du roman, autour des apparitions du général sudiste, présentait un des aspects les plus casse-gueule d'une adaptation. Sans tomber dans le ridicule, les scènes où interviennent les confédéré srestent plaquées sur le récit, et ce n'est pas le pompage éhonté de la fin de "The Shining" qui parvient à les crédibiliser.
Ensuite, l'adoption du point de vue américain amène à présenter sans recul critique, voire à justifier, un personnage qui tabasse allègrement témoins et suspects, et qui n'hésite pas à placer un flingue dans les mains d'un type abattu par les policiers alors qu'il sortait des toilettes avec une revue. Etrangement, ce qui paraît naturel chez Clint Eastwood ou Tommy Lee Jones quand il réalise "Trois enterrements" semble déplacé devant la caméra de l'auteur de "L'Appât". Tommy Lee Jones, acteur, est présent dans presque tous les plans, tout en semblant bizarrement peu investi, oscillant entre un surjeu autocaricatural et une atonie à contretemps. Heureusement, il y a John "Lebovski" Goodman dans le rôle d'un superbe salaud, arrogant et brutal.
A avoir voulu réaliser un film trop américain, Bertrand Tavernier a perdu sur les deux tableaux : celui du film d'action, et celui du film d'auteur ; il ne parvient pas à trouver la tension et le sens du rythme d'un film d'Eastwood auquel ce récit crépusculaire fait forcément penser, et il ne parvient pas à imposer sa patte de réalisateur européen dans un film qui ne se démarque pas du commun de la production américaine.
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