Avertissement: la critique ci-après est inspirée non seulement du film en question (heureusement!) mais également d'une longue interview du réalisateur. J'admets donc être en partie biaisé par ce que j'ai retenu des propos de M. Haneke, qui ont probablement altéré mon souvenir du film.
Funny Games est un "survival thriller": on suit un groupe (en l’occurrence une famille bien proprette), sa tentative de survie contre un obstacle (un duo de tueurs plutôt originaux) et sa mise à mort lente et progressive. Le film se veut choquant: les tueurs sont de jeunes gens courtois, élégamment habillés, qui ne cessent de revenir sur le respect et les règles de politesse en même temps qu'ils torturent cette famille (la violence la plus importante exercée, selon moi, étant psychologique: ils jouent sur la peur et le sentiment d'impuissance d'un père a protéger les siens).
Le but avoué de Hanake avec ce film est de dénoncer l'hypocrisie du cinéma "violent" hollywoodien. Cinéma qui obéit à certains codes de manière à, paradoxalement, ne pas trop heurter le spectateur, tels que la présence de motivations qui rassurent (il est rare d'assister à une violence totalement gratuite, sans même l'excuse d'une maladie mentale, dans le cinéma américain), le non meurtre d'enfants, la distanciation entre le meurtrier et le spectateur (qui est dans ce film évitée d'une manière un peu trop facile: un des meurtriers s'adresse en effet aux spectateurs, afin de créer certainement un sentiment de complicité, mais le caractère artificiel de cette mise en scène provoque l'effet inverse: on sort du film au lieu de s'y investir plus). Or selon le réalisateur ces codes servent à rendre acceptable et plaisante la violence, ce qu'il estime malsain. Son objectif était donc de rendre son caractère choquant et désagréable à celle-ci (Haneke estime par exemple que Orange Mécanique est un film raté car la violence y est trop esthétique, on s'y complaît, on s'en amuse, au lieu de s'en révolter). Je ne suis pas certain que cet objectif moralisateur, donneur de leçon, soit véritablement louable: le spectateur est peut être assez intelligent pour réfléchir par lui même, pour savoir ce qu'il veut voir lorsqu'il choisit de visionner un film de type "violent", et à ce titre Funny Games n'est pas une totale réussite: le déroulement ainsi que le dénouement sont convenus, les violences infligées ne sont pas particulièrement originales et le moment où l'un des tueurs fait "revenir en arrière" le film car une des victimes avait pris le dessus casse complètement l'immersion. Le doublage français est un modèle de ratage digne de figurer sur Nanarland, mais ce n'est pas un défaut inhérent au film donc je ne lui en tiendrai pas rigueur.
Funny Games reste cependant un bon thriller, agréable à regarder un dimanche après midi pluvieux, grâce à un duo de tueurs surprenants et mettant mal à l'aise par leur coté fils de bonne famille charmants et courtois, contrastant avec des actes violents sans compromis et gratuits. Le coté épuré et sans artifice des décors et des situations, sans effets spéciaux virevoltants, permet de se plonger dans l'ambiance d'un weekend à la campagne habituel qui sombre dans le cauchemar... jusqu'aux fatidiques moments précités où Haneke tente d'appuyer son discours moralisateur avec des mécanismes totalement ratés qui brisent l'immersion.
En résumé, selon moi Funny Games est un "sous Délivrance": le but assumé de son réalisateur d'en faire un film de dénonciation, au lieu d'accepter que le spectateur choisit de regarder ce type de film parce qu'on peut trouver un certain esthétisme à la violence, voire au morbide, sans pour autant la pratiquer ou l'apprécier "dans la vraie vie", nuit à l'oeuvre et ne parvient donc pas à la cheville d'un Boorman et de son Délivrance, battit sur les même ressorts (du moins dans sa première partie) mais qui, à la différence d'Haneke, n'était pas inspiré par le dégoût de la violence. Tout excellent réalisateur qu'est ce dernier, on ne m’ôtera pas de l'idée qu'on peut difficilement faire un "bon" film violent si l'on exècre le genre.
Mais par pitié... regardez ce film en VO! Ou alors la VF pathétique, avec des bières et quelques potes.