A l'origine, "Inju" est un roman publié en 1928 par Edogawa Ranpo, un auteur populaire de romans policiers marqués par la violence et la sexualité, et qui avait choisi son pseudonyme en hommage phonétique à Edgar Allan Poe. Dans le livre de Ranpo, l'action opposait deux écrivains japonais, et c'est ce qui bloquait Barbet Schroeder dans son désir d'adapter ce roman que lui avait offert Raoul Ruiz. Quand il a reçu le scénario proposé par Jean-Armand Bougrelle, il a été séduit par "l'idée décisive que l'un des deux romanciers soit un étranger, un français spécialiste de Shundei Oe, un avatar de Ranpo lui-même".
Dans le dossier de presse, Barbet Schroeder raconte : "Le film de Samuel Fuller, "La Maison de Bambou" a eu une influence énorme sur moi. A sa sortie, je me souviens être resté trois séances de suite !". Or, à sa sortie en 1955, un critique japonais le qualifiait ainsi : "C'est un pur produit commercial pour vendre de l'exotisme à un public américain en utilisant le Japon comme toile de fond et en employant une actrice japonaise. Sa façon d'ignorer complètement les moeurs, la géographie et la sensibilité japonaises nous semble bien maladroite."
Etrangement (ou non), cette critique pourrait convenir parfaitement au film de Barbet Schroeder. Etrangement, car celui-ci ne cache pas son admiration pour la civilisation et le cinéma japonais, et il a mis un point d'honneur à travailler quasi exclusivement avec des techniciens et des acteurs locaux, à la notable exception de Benoît Magimel. Malheureusement, cela ne se voit pas, et ce dès le début. "Inju" s'ouvre sur la projection d'un film de sabre adapté d'un roman de Shundei Oe ; d'accord, on est dans l'exercice de style, mais qu'au moins il soit bien fait ! D'emblée, ce qui choque, c'est le positionnement de la caméra à une hauteur européenne, erreur impardonnable pour quelqu'un qui se réfère à Miziguchi et surtout à Ozu, célèbre pour sa position basse, à hauteur des personnages.
Le film se poursuit par une enfilade de clichés sur le pays du soleil levant : maison de thé à Gion, danse des geikos, grand patron lié aux yakusas. Cette impression d'exercice de style artificiel se trouve encore renforcé par une photographie criarde qui évoque justement le technicolor de "La Maison de Bambou", et cet aspect factice se perçoit aussi bien d'un point de vue formel que narratif. L'intrigue est cousue de cables blancs : une geiko menacée par un écrivain psychopathe s'adresse bien entendu à un écrivain étranger lost in tranlation, quand un premier meurtre a lieu, "surtout n'appelons pas la police !", et Fayard s'obnubile à protéger le big boss yakusa d'une mort certaine que seul lui entrevoit.
Au milieu d'acteurs japonais qui ânonnent leurs répliques dans un français phonétique qui rendrait Eiji Okada cabotin dans "Hiroshima mon Amour", Benoît Magimel semble lui même ne rien comprendre à ce qu'il débite : qu'il se rassure, nous non plus !
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