Domaine dont il est devenu expert, PTA joue sur la dualité des images : ce que le plan montre et ce qu'il laisse entendre en filigrane. Dans There Will Be Blood, il questionne l'historicité du capitalisme : l'idée que les humains auraient d'abord cherché à exploiter, "dans le respect", les ressources de la nature, avant de succomber à des dérives cupides.
Or, dès la séquence d'introduction dépourvue de dialogues, s'opère déjà deux violences : celle avec laquelle Daniel creuse la roche pour obtenir le minerai, et celle avec laquelle il chute dans le trou. Le matériau n'est pas trouvé par terre, tel un fruit tombé d'un arbre ; les sols ont été excavés à dessein.
Partant de postulat, tout est dit : la capitalisme est mortifère par essence. Les matériaux bruts, dont il a besoin pour perpétuer, sont extraits de leur milieu naturel. C'est le cas avec les minerais dans les mines, mais aussi avec le pétrole, liquide fossile aux vertus capitalistes miraculeuses. Curieux quand on rend état de son origine, de sa viscosité, de sa puanteur et des conditions dans lesquelles il est récupéré. PTA montre plusieurs scènes d'extraction. Toutes s'accompagnent de blessures ou de morts : celles des ouvriers filmés en masse, de dos, tels des silhouettes sans histoire ni intérêt.
Daniel passe
d'auto-entrepreneur précaire, obligé de forer lui-même, à riche propriétaire
. Comme ses concurrents, il s'adonne à des calculs de boutiquiers pour bénéficier d'un maximum de plus-value. Il n'a aucun scrupule à mésestimer la valeur des terres de paysans pauvres dans le but de les racheter et d'y extraire le pétrole enfoui. Son fils adoptif n'est qu'un faire-valoir attendrissant, un justificatif bidon d'entreprise familial
dont il ne rechigne pas à se débarrasser quand celui-ci lui fait défaut
.
Daniel le dit lui-même : il n'aime pas les gens, il veut les voir échouer. À ce titre, cela le place en misanthrope rapace, prêt à sacrifier toutes ses ressources, même humaines, pour faire fructifier ses affaires et arranger ses négociations. À ceci près qu'il rencontre une opposition en la personne de Paul, fervent défenseur de l'Église.
Se joue alors toute l'ambivalence de leur relation, chacun pointant du doigt l'autre comme fautif, alors que tous deux ont besoin d'un coupable pour survivre. La capitalisme aime se donner bonne conscience en s'accordant les faveurs religieuses, et en faisant semblant de servir le progrès social ; la religion, quant à elle, se nourrit du désespoir créé par le capitalisme, de la précarité et de l’aliénation au travail pour rassembler de nouveaux fidèles, autant éclairés par leur foi qu'aveuglés par l'obscurantisme.
Seuls quelques longueurs et excès performatifs de Day-Lewis et Dano viennent nuire au film qui, sur le fond et la forme, est magistral.