[Non opposé au système de "notes", j'y attache tout de même une remarque sur le cadre que doit opérer cette dernière, en dehors duquel le concept de notes de films n'a aucun sens. Pour lire cette remarque, trouver la critique du film "Erin Brokovich"]
Disons le clairement, ce qui est consistant dans ce film : c'est la surprise. La surprise au cinéma, voila un terme bien intriguant. Pour revenir dessus, la surprise est souvent vue-sans forcement être clairement affirmé-comme le principe même d'un film aujourd'hui. Comme ce qui fait précisement qu'on l'a aimé. Certains avoueront que c'est la raison, d'autres y trouveront une autre (fausse) explication. Car c'est ce qui apporte ce qu'on nomme le divertissement. Le film n'est pas un divertissement, ce n'est pas une émission de télévision. Sinon ca n'est pas un film, ca n'est pas du cinéma, ca n'est pas de l'art. Pourtant comment devrait être alors cette surprise ? C'est simple : elle devrait être prise dans l'ancrage d'un personnage. A savoir parfaitement intrinsèque à lui. Elle doit être prise avec celui ci et non l'inverse. Et même en d'autre terme : elle ne doit pas être isolée de lui. La surprise ne doit pas amener à créer un personnage ni simplement à faire l'histoire-tout en laissant presque le personnage de coté, sa construction n'ayant même plus d'importance et plus véritablement de lien avec "la surprise". On ne peut pas aimer un film pour cette forme de surprise totalement insensée et superficielle. Ca n'a pas de sens, ca serait comme aimer un cadeau juste pour le paquet; une fois ouvert il n'y a plus d'intêret. L'amour-l'amour d'un film, d'une oeuvre d'art-ce n'est précisement pas ca. L'amour d'un film consiste en la perdition de soi, la contemplation et le lien à la question de l'être. Aimer un film pour la surprise qu'il vous a procuré n'a : I) pas de sens, ce n'est pas aimer la substance d'un film mais seulement des effets de bluff, et deuxièmement cela ne durera qu'une fois, la deuxième fois vous serez au courant de la supercherie et vous trouverez plus ennuyé qu'autre chose (ou la troisième fois si vous avez un peu oublié). La surprise est donc divisée en deux catégories : une surprise artificielle prise pour elle même, prise en soi, seulement pour son effet et totalement déconnectée de ce que doit devenir le personnage; et une surprise faite avec l'approfondissement du personnage, une surprise qui est l'effet de l'intrigue qui décide de se réinventer, de se renouveler en elle même sans tirer d'élements exterieurs à elle. C'est de cette dernière dont nous allons parler et nous la nommerons : surprise consistante. Et cette surprise consistante, le film ne cesse de renouveler...
Mais que cela implique-t-il que "le film ne cesse de la renouveler" ? Et bien que le film ne cesse de s'emparer de ce processus, il ne cesse de le reprendre et de le réinventer (pas dans le cinéma mais dans le cadre du film). Commencons par le film : l'histoire est assez malicieuse, excitante, elle ne semble pas si classique que ca : une femme apprends que son meilleur ami avec qui elle fut amoureuse mais qu'elle quitta rapidement, va se marier, elle se rends compte qu'elle a manqué quelque chose-pensant pouvoir se marier à 28 ans avec lui par simple promesse sans avoir à lui avouer son amour, et donc à affronter sa peur. Pourtant c'est loin d'être gagné, car c'est une intrigue-bien qu'elle puisse être originale-extremement simple, en d'autres termes : elle ne mène pas loin. Et il n'y a rien de pire pour un scénariste. Ce que fait l'auteur en général c'est qu'il va trouver d'autres éléments à l'intrigue, il va aller piocher ailleurs : une tante espionne ou agent secret, une mission à accomplir, un mort, bref quelque chose d'exterieur à l'histoire qui va permettre de gonfler la susbtance (telle la levure) afin de mieux arrondir ses angles et ne pas se retrouver vide de matière, alternant ainsi histoire de base et histoire exterieure-pour arriver à une fin sur l'histoire de base et la conclure ainsi car c'était bien le principe propre au film à la base, et cela l'était resté malgré l'histoire exterieure (mission secret à accomplir en plus du fameux mariage, la découverte d'un secret qui n'était pas dit dans l'intrigue car il dépendait d'un personnage qu'il fallait présenter...), d'ailleurs généralement cette histoire exterieure n'est pas dit dans le synopsys car elle est décidée après ne voyant que trop peu de matière à l'histoire ou bien parce que c'est sur cette surprise que va se baser l'intêret que le spectateur va porter à l'histoire. Bref, le point est que : ce n'est précisement pas ce que décide de faire le film ici. Il ne cherche pas la facilité mais tente de se sortir soi même des emmerdes dans lequel il s'est fouré. Soit cela donne une entière catastrophe, soit cela quelque chose parsemé d'éléments tout à fait excitants. Ici c'est le cas. Le film s'en sort très bien et tombe même sur une mine d'argent. Il arrive même à renouveler le genre de comédie musicale la rendant plus articuler au film, il propose la possibilité de ne pas arreter le film pour voir les personnages danser (ce qu'on peut remarquer dans le cinéma) mais il garder la beauté de la comédie musicale (les personnages chantent et dansent) tout en lui donnant un sens, et sans arracher les scènes de danse à la continuité (chronologie) du film. "Le film se veut comédie musicale sans l'assumer" pourrait on dire : et pourtant c'est un renouvellement de la comédie musicale, une nouvelle manière de voir les choses. Comme dit precedemment, le film cherche à faire original, se cherche soi même sans tricher, sans utiliser d'effets et arrive à tomber sur quelque chose de probant, voire même disons le clairement : d'absolument génial !
Si l'on passe en résumé le début du film : c'est semé de complications, en réalité les relations et les dialogues sont tellement simples qu'on ne comprends pas du tout ou ils veulent en venir : pourquoi ce george, l'ami de julianne ? Quel intêret ? Il n'y avait pas assez de durée au film c'est ca ? Il fallait rajouter des personnages ? Pourquoi on dit dès le début que kimmy (la fiancé) n'a aucune chance face à julianne qui veut précisement récupérer michael en plus ? Mais quel intêret a dire tout ca dès le début ? Que va faire le film qui se mets une balle dans le pied dès le début et perds toute l'énergie du film, tout ce qu'on attendait, en moins de 25 min ? Rien de plus affligeant ! En réalité il n'y a pas de tension. On pourrait croire que le film montre qu'il veut aller plus loin que son intrigue et proposer autre chose, mais aussi rapidement dès le début du film, on arrive même pas à croire à ce scénario, on n'est déjà plus du tout excité. Et pourtant...
...et pourtant si l'on continue, on découvre des scènes de plus en plus touchantes, des scènes étonnantes, des dialogues fins et bien écrit, autre chose que des situations comiques clichées. On trouve de la nouveautée, de l'originalité, et même de la grace. Beaucoup de grace et de sincérité. Tout cela à partir du moment ou george et julianne sont dans la chambre, et notamment au moment ou ils sont allongés dans le lit et il lui dit : "tell you love him". A partir de ce moment là il n'y a plus qu'à se laisser tomber et savourer jusqu'à la fin du film.
Alors attention le film ne doit pas commencer à se regarder à partir de là, cela serait ridicule : un film se prends entièrement. La partie avant n'est pas "à jeter", elle est bonne, necessaire même. Car bien qu'elle soit faite d'erreurs, les scènes sont sincères, elles sont ennuyantes à regarder prise isolée du reste, mais prises avec l'ensemble elle sont belles, elles ont un sens. Pourquoi ? Parce qu'elles se complètent avec le tout, avec l'ensemble du film. Car c'est cela un film, on doit prendre ce qui crée les contrastes, les nuances, on doit tout prendre, on ne peut pas prendre une scène isolée du reste et l'analyser : cela n'a absolument aucun sens. Ce serait comme dire que l'oeil vit sans le reste du corps, il vit à l'interieur du corps sinon ce n'est pas un oeil. Ces scènes sont donc essentielles.
Certaines scènes peuvent ne pas bien marcher : comme la scène ou julianne est surprise en sous vetements par michael et elle dit à george au téléphone en parlant de la fiancé : "elle est foutue", ici ils voulaient mettre en scène un personnage vicieux qui va réussir à avoir ce qu'il veut et qui relance toute l'intrigue et cela est censé nous effrayé : pourtant ce n'est pas le cas. Pourquoi ? Premierement parce que le plan n'est pas assez serré, il aurait fallu un plan plus gros et plus sombre. Et deuxièmement parce que le cadre entier ne va pas, la personnage n'apparait pas comme la méchante ou comme la vicieuse qu'il faut esquiver et qui ne doit pas récupérer michael. Comme ca, cette réplique aurait permis de relancer l'intrigue et de nous faire tenir sur le suspence : mais en réalité il ne se passe pas grand chose. On se fiche pas mal qu'elle pense le reconquerir, on assiste juste à un jeu de ping pong entre des moments ou on se renvoie la balle mollement. Le problème est que les scènes étaient censées être assez ambigues (et pour cela il fallait garder les personnages chacun dans leur position sans les en faire sortir avant le dénouement) pour nous faire penser à tue tête que oui ils vont finir ensemble ou non ou oui ou non il ne veut pas en fait... Là on aurait une certaine tension puis on aurait finit par se dire : mais ou tout cela va ? Que va-t-il se passer ? Finir ensemble ou pas ? Mais le film ne sera pas aussi basique quand même ? Pourtant c'est ce qu'on commence rapidement à croire. Et on se dit que même si ca n'est peut être pas le cas, on ne sait pas ou cela va nous mener, surement dans quelque chose de byzarre. Pourtant le film arrive à renverser la situation (c'était prévu evidemment, mais c'est du coup l'impression que ca donne) et se montre beaucoup plus complexe. Il n'y a pas juste la fameuse question qui rode : vont ils finir ensemble (julianne et michael) comme dans une bonne vieille comédie romantique ? Le but du film, c'était ca : ce n'était pas oublier cette question, mais l'approfondir. Aller plus loin, tout en ayant l'enjeu de rester dans la réponse à cette question. La question devait donc être plus profonde, la réponse aussi. Et cette question, c'est ce qui fait tout le charme du film.
En effet, cette question est tout ce qu'il y a de plus important, car elle part d'un : vont ils finir ensemble ? à un : que va-t-il se passer pour les personnages ? Parce que plus le film avance plus il semble évident qu'elle ne sera pas juste la nouvelle mariée, que la réponse ne sera pas binaire. Et ce que propose le film est excellent, il va plus loin que le conventionnel, il montre que michael aime vraiment sa femme, que ce n'était pas un choix par défaut, qu'il n'y a pas de fatalité avec quelqu'un mais des choix si on fait intervenir sa volonté (l'affrontement de sa peur et de la douleur). Et ca c'est la surprise consistante, l'histoire va plus loin dans ce qu'elle proposait, elle est très honnète et n'essaie pas de s'en sortir avec un élement exterieur. L'histoire ne triche pas. Elle garde ce qu'elle a proposé au début, bien que cela soit simplement une salade nicoise. Parce que cette salade nicoise, si on apprends bien à la savourer, si on regarde ce qu'on a et non le reste, alors on se rends compte que mince...c'est bon une salade nicoise !
Parce que, le film ne dit pas juste : michael finit avec kimmy, mais il y fait une lecon de vie, il ne cherche pas à repondre à la question simplement pour répondre à la question et surprendre par là le spectateur dans la manière de le faire. Si le film donne cette réponse c'est précisement parce qu'il cherche à montrer autre chose. Si il décide de choisir cette réponse ce n'est pas pour la surprise mais un pretexte pour pouvoir développer une réflexion et un message, cette réponse est une matière première pour pouvoir dire autre chose derrière : la surface de la substance réelle et complexe du film. Le film ne dit : "michael choisira kimmy parce que cela surprends plus le spectateur", il ne cherche pas les émotions du spectateur, il n'est pas dans un rapport de procuration de plaisir immédiat avec lui, il ne vient pas lui apporter ce qu'il veut et attends. Il vient lui donner ce dont il a besoin, il vient lui amener quelque chose de plus complexe, de réfléchit. Il vient lui montrer deux choses : la première c'est que cela ne se finira pas comme il veut, la deuxième c'est que si le film donne cette réponse-et si le spectateur est décu-ce n'est pas dans un but de surprise en soi (sinon c'est raté) mais bien pour une bonne raison derrière (qui sera la réelle surprise, la surprise consistante, la surprise belle au sens moral du terme, une beautée harmonieuse et tout bonnement parfaite) et cette raison derrière le spectateur va la savourer du mieux qu'il peut et va se rendre compte que c'est ce qu'il voulait en fait. Il faut voir le film comme un décors de théâtre, comme un double jeu de grattage : on gratte une première fois, découvrant ce qu'il y a derrière on est plus ou moins décu, mais alors soudain on se rends compte que se profile une autre face juste derrière, une face plus profonde, plus belle, surprenante, une face à laquelle on ne s'attendait pas du tout et si on est heureux de cette surprise ce n'est pas parce qu'on ne s'y attendait pas mais parce que cette surprise est précisement riche et complexe et c'est cela qui provoque notre étonnement : l'étonnement d'une chose si incroyable, l'étonnement qu'une si belle chose puisse exister, la stupéfaction de la nature. Voila ce qu'est ce film : le développement d'un double jeu de grattage. On commence plutôt décu, pour se rendre compte que c'était en réalité pour nous amener à une partie géniale ! Car la force du film c'est d'avoir choisit son message, de l'avoir complexifié (le couple n'est pas ce qu'il y a d'important, l'amitié est belle, la vie aussi), mais surtout de l'avoir parfaitement transmis, de l'avoir parfaitement mis en scène, d'en avoir fait quelque chose de sensiblement émouvant. Parce que c'est ca le cinéma avant tout : ce n'est pas une dissertation philosophique : on dit les mots, on fait passer son message avec des scènes, des sourires, des pleurs, avec des dialogues bien écrits, des acteurs étonnants, des personnages touchants et des chansons ! La force du film c'est donc d'avoir parfaitement réussi cinématographiquement cette dernière étape, cette deuxième face du jeu de grattage.
Ces dernières scènes du film, à partir du moment ou julianne fait la messagère entre les deux et qu'elle s'apprete juste après à avouer à michael qu'elle l'aime : on retombe dans l'enfance, on se laisse tomber amoureux d'une simplicité folle en savourant tout ce qu'il reste. Ce film fait retrouver cette magie qu'on aimait dans le cinéma. Cette folie enfantine, ce grain de naiveté qui nous avait fait tellement aimer cet art ! La scène de fin en est un exemple, la manière dont elle est écrite, filmée, jouée, mise en scène, éclairée, le choix de la musique : tout, tout est parfait ! [Sans parler des scènes précédentes] Ce film est un rêve et redonne l'enchantement qui nous faisait regarder un film les yeux pétillants de magie, il nous fait retomber en enfance et amoureux. Il nous refait croire aux choses même les plus naives sans nous mentir ! Et c'est précisement pour cela qu'il arrive à nous y faire croire, car il ne triche pas. On se croirait dans ratatouille quand cet homme, le critique culinaire, remange la ratatouille et a tous ses souvenirs qui lui reviennent en tête pendant que les cuisiniers le regardent à travers la porte de la cuisine. Le clin d'oeil de ratatouille au film, est finalement après fine réflexion, un très beau clin d'oeil. Le film cultive cette petite graine qu'on oublie de temps en temps...
Car le film se fiche des relations superficielles, de la surprise artificielle du film et des effets de suspence. Gardez les pour vous, le film propose bien mieux ! Il dit : oui la vie est dure, dès fois on croit que en disant je t'aime, en affrontant ses peurs on aura ce qu'on veut. Et bien non ! La vie est bien plus surprenante que ca, comme son film, elle vous propose ce que vous avez sous les yeux, ce à quoi vous ne vous attendiez pas. Elle vous dit : regardez votre ami, regardez autour comme c'est beau. La vie est douloureuse, mais qu'est ce qu'elle est belle en même temps : et c'est la douleur qui vous le montre. Le film ne réponds pas simplement à une banale question mais il va plus loin : il montre au spectateur ce qu'il ne voyait pas. Le film ne réponds pas juste à la question (vont ils finir ensemble, oui ou non ?) pour cloturer l'histoire, mais il propose autre chose derrière, il se demande : que se passe-t-il si ils finissent oui ou non ensemble, en dehors du fait qu'ils se marient, quelle dimension va être mise en oeuvre autour des personnages pour rendre cela bien plus complexe que ca ne le semble ?? Et la réponse est là : des scènes innatendues, magiques. Une julianne qui a de la chance dans la vie, et finir ou non avec michael est tellement superficiel, ce qui sera bien pour elle se fera, et elle l'acceptera, point. On a des scènes qui viennent se complèter avec cette scène de fin parfaitement maitrisé au niveau de la mise en scène et même très imaginative (étonnant par rapport au début du film, vous voyez?). L'intrigue se renouvelle d'elle même, elle garde sa matière pour essayer de se réinventer et propose une extension géniale qui sera la partie onctueuse du film. Le film montre que une relation, ca n'est pas que le sexe, le mariage mais c'est aussi de l'amitié, et doux jesus...de la danse !
John Yuston