Chef d'oeuvre. Chef d'oeuvre absolu, auquel il n'y a rien à rajouter, rien à retrancher, sauf.... son titre! Oui, il faut le dire! Ce n'est pas accessoire! Ah, la bêtise des distributeurs, c'était joli le figuier sauvage... Sauf que dans le véritable titre, il s'agit des graines du figuier ETRANGLEUR, et ce titre correspond à la symbolique de tout le film. Qu'est ce qu'un figuier étrangleur? Ce n'est pas un figuier d'ailleurs, le sympathique figuier qui donne de bonnes figues, blanches ou violettes; c'est un arbre épiphyte, souvent un ficus. Ses graines tombent sur un autre arbre; il se développe, ses racines aériennes enserrent le pauvre arbre mère qui finit par crever. Avouez que c'est un sacré symbole....
Le précédent film de Mohammad Rasoulov, Le diable n'existe pas, était déjà formidable mais celui là est juste parfait.
On est dans une famille bourgeoise de Téhéran, bel appartement, belle voiture. Iman (Misagh Zare) est un bon mari -il aime profondément sa femme-, un bon père -il adore ses filles-, et un fidèle serviteur de l'état. Il vient d'être nommé enquêteur, c'est la dernière marche avant de devenir juge d'instruction au Tribunal Révolutionnaire, et là, ce sont les honneurs, le salaire qui va avec, un plus grand appartement...
Il se pose quand même des questions, Iman; il a un très gros dossier à étudier, cent pages,
mais déjà avec l'avis du procureur: ça doit se terminer par une condamnation à mort.
Mais après tout, puisque c'est le procureur qui le dit, il sait ce qu'il fait. Il transmet la loi de Dieu. Son épouse, Najmeh (Soheila Golestani) est aussi de cet avis. Elle l'encourage à tenir bon.
Mais il y a les deux filles. Sana (Setareh Maleki) n'est qu'une ado, mais Rezvan (Mahsa Rostami) va à l'université. Et Mahsa Amini vient d'être torturée et assassinée par le pouvoir (mais non, elle était malade, elle a eu un accident cardiaque, répète Najmeh, après la télévision) Les violences commencent.
Et une amie de Rezvan est à son tour gravement tabassée -elle va perdre un oeil- par les brutes qui envahissent les facs.
Les deux soeurs, cloitrées à la maison (on ne va pas les laisser retourner près de ces dévergondées qui veulent se promener toutes nues dans la rue! La femme doit couvrir sa tête, c'est la volonté de Dieu, point final) sont accrochées à leur téléphone portable. Et nous, spectateurs, nous voyons des fragments de ces dizaines, de ces centaines de vidéos anonymes que les manifestants filmaient et envoyaient tant bien que mal par les réseaux sociaux où à leurs amis, en Iran et hors d'Iran.
Et puis, survient un incident qui pourrait changer le destin de toute la famille: l'arme confiée à Iman a disparu. Cela peut avoir des conséquences terribles: dégradation, prison, tout perdre... Qui l'a prise? Laquelle, des trois femmes? Il faut les faire parler, par tous les moyens. Déjà que les fiches des juges et enquêteurs, censés être clandestins, commencent à être diffusées...;
Le film, c'est la lente descente aux enfers d'Iman, qui nous apparaissait plutôt au début comme un homme sympathique, et la beaucoup plus lente et difficile remontée de Najmeh vers la lucidité, le tout pendant deux heures quarante cinq dans le huis clos de l'appartement (dont on sort par le biais des vidéos de rue): on ne voit pas le temps passer. Seule la dernière demi-heure vire au thriller dans un sublime ancien village troglodyte du désert.
Le film, c'est de l'histoire contemporaine; .c'est le poids de l'oppression politique et surtout religieuse qui amène des humains pas plus mauvais que ça au départ, à devenir des monstres, parce qu'on a mis dans leur pauvre tête qu'ils exécutent la volonté de Dieu. Quoi? Personne ne se demandera par quel biais on peut connaitre la véritable volonté de Dieu, en admettant qu'il existe? par quelle voix il l'aurait fait connaitre à ses prêtres? La force de la théocratie, c'est ça: tuer la moindre trace de réflexion personnelle
Après, pour le pouvoir politique, c'est jeu d'enfant que de s'assurer la docilité du peuple. Heureusement, il y a eu Jafar Panahi, il y a eu Abbas Kiarostami, il y a Mohammad Rasoulof et les autres qui ont payé leur courage d'interdiction de tourner, de mois de prison, d'exil forcé