Dans l'imaginaire collectif, le comte Dracula est représenté comme un aristocrate dans la force de l'âge, grand et svelte, avec des traits fins, le teint pâle et les cheveux noirs. Il est habillé d'un costume sombre et d'une grande cape noire à doublure rouge.
En réalité, cette représentation a évolué dans le temps. Le Dracula originel, celui de Bram Stoker, ne correspondait pas à cette peinture : il s'agissait d'un vieillard (qui rajeunissait tout au long du roman )plutôt laid et repoussant, ayant un corps grand et maigre, un nez aquilin, des sourcils broussailleux, des cheveux rares aux tempes, une épaisse moustache, des doigts courts et forts, des paumes poilues et une haleine fétide. Il n'avait rien du bellâtre séducteur ! Stoker, pour faire le portrait de son monstre, s'est inspiré des thèses de Lombroso, très en vogue à l'époque : on croyait alors, en effet, que la forme du visage d'un homme indiquait son caractère et le portrait de Dracula correspond à celui du type criminel. Par ailleurs, David J. Skal, qui relève plusieurs références à l'œuvre de William Shakespeare dans le roman, apparente Dracula à Hamlet qui, lui aussi, était vêtu de noir. Dans les autres adaptations, le vampire apparaît avec des traits de caractère différents, dans Nosferatu, fantôme de la nuit, il est une véritable victime, prisonnier du temps qui ne le laisse pas en paix , il avoue ainsi à Jonathan sa douleur de ne pas pouvoir mourir. Dans les films de la Hammer, Dracula est certes un personnage cruel, mais il possède également un certain sens de la justice dans "Horror of Dracula" s’il décide de vampiriser la fiancée de Jonathan c’est, affirme Van Helsing, parce que ce dernier a tué la femme-vampire qui vivait avec lui , de même, dans "Une messe pour Dracula" le vampire entreprend de faire tuer les hommes qui ont assassiné celui qui lui a permis de renaître de ses cendres. Le Dracula de Francis Ford Coppola nous dévoile, lui, un personnage qui provoque franchement la sympathie du spectateur en renversant les symboles du bien et du mal : c’est en effet à cause de la cruauté de l'église que il accède à l’état de vampire. Son caractère attachant s’exprime également, paradoxalement, par son humanité il se révèle capable d’aimer, de pleurer, d’éprouver de la sympathie....
En 1992 donc ,Francis Ford Coppola dévoile un Dracula lui aussi lourdement chargé d’érotisme. Mais celui-ci dépasse le simple voyeurisme et se lie comme une dénonciation des interdits sociaux en matière de sexualité. Dans ce film, en effet, Mina, qui est promise à Jonathan, se comporte conformément aux bonnes mœurs , elle n’a aucune relation sexuelle avant son mariage, s’indigne quand un homme l’approche… Sa curiosité pour les choses du sexe est grande, mais elle la dissimule , si, au début du film, elle ouvre d’une main timide le Kamasutra qui se trouve proche d 'elle , elle le referme néanmoins violemment dès que elle entend son amie entrer dans la pièce. Lucy, est différente elle fait figure de dévergondée , elle courtise trois hommes à la fois, aborde plusieurs fois le thème de la sexualité avec Mina, l’embrasse avec passion… Mais c’est au contact du comte que Mina se libérera véritablement des carcans moraux qui la briment. Le film présente, ainsi, l’évolution progressive de la jeune femme vers l’acceptation de ses désirs .La réalisation de Francis Coppola est, il faut dire, aussi impressionnante que tentaculaire, virevoltante dans tous les sens avec tous les éléments faisant directement la renommée d'un classique hollywoodien .... effets spéciaux époustouflants, musique baroque et exacerbée, casting abondamment fourni, scènes d'anthologie, poésie, hémoglobine, érotisme…
Absente dans tous les films mettant en scène le suceur de sang, la vision du conquérant qu'il fut avant que Stoker ne reprenne le personnage est enfin exploitée dans une intro flamboyante, où le sang et les larmes se rejoignent dans un trip baroque et gore, très proche de "Excalibur". Dans un ciel rouge, Vlad empale les ennemis à la chaîne, avant de voir sa vie s'écrouler après la mort de son épouse, noyée. Entre tragédie et peinture historique (excellent effet que sont ces ombres chinoises), le début du métrage frappe fort par ses images tonitruantes et blasphématoires (la croix qui saigne sous le coup d'une épée, l'ange pleurant du sang, le suicide d'Elizabetha…) et nous envoie l'un des plus beaux plans du film, montrant le comte rejoindre son château sur une route d'empalés. Ici pas d'images numérique et cela donne un cachet supérieur à la dite séquence, inoubliable...
Exploitant divinement bien la personnalité du comte, Coppola fait subir à Gary Oldman(excellent ) de nombreuses transformations sidérantes, brillamment mises en images : vieillard, jeune aristocrate, loup-garou , rats, brouillard verdâtre et goule (bel homme chauve-souris belliqueux dont le look sera repris pour les vampires de "Une nuit en enfer"). L 'acteur est très à l'aise dans son rôle, incarnant un Dracula parfois sadique et cruel, parfois tourmenté et amoureux, voire romantique et effrayant. A déguster cependant en version originale pour goûter à toute l'essence de sa voix envoûtante et ténébreuse .
Coté acteur, Winona Ryder et Sadie Frost occupent le casting féminin de manière très convaincante, illuminant le film de leur beauté radieuse, parfois sombre et déchaînée. Hopkins lui est assez pitoyable dans le rôle de Van Helsing ( chose rare) il cabotine beaucoup trop ,hélas !!!!!! Keanu Reeves lui, est également mauvais et surtout peu concerné par le projet ...n 'oublions pas les premiers pas de Monica Bellucci en femelle diabolique, déjà sacrément belle et hypnotique ,accompagnée d'ailleurs des deux autres femmes elle ne passe que fugitivement à l'écran mais chose étonnante elle se démarque déjà ....
Coppola fait exploser sa narration le temps d'une longue séquence assez phénoménale où le comte arrive enfin dans la ville de Londres pendant une lourde tempête. la caméra accélère ses mouvements, tourne, s'égare, filme la folie... jusqu'à déboucher vers une image là encore assez courte mais impensable pour un film se voulant hollywoodien :le viol sauvage de Lucie par un lycanthrope soudain devenu libidineux, s'enfuyant après avoir déposé une délicate morsure sur le cou de sa victime......
Le cinéaste injecte un romantisme forcené mais étrangement inédit dans l'univers filmique du comte (excepté dans la version de Badham où Dracula devenait un amant séducteur et charmeur) et donc forcément intéressant. Une histoire d'amour se tissant rapidement autour de Mina et de Vlad, à travers deux magnifiques scènes ,les caresses échangées sur un beau loup blanc, et la découverte de l'absinthe. L'action explosera quant à elle lors du final expéditif, mais qui a le mérite de se terminer sur une séquence émouvante et sanglante, où tout se termine finalement là où tout a commencé.
Un bémol cependant: la chanson du générique d 'Annie Lennox sabote un peu l'oeuvre ..choix curieux de la part du réalisateur ....
Mais une chose est certaine .......ce Dracula est une réussite totale ..........