Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, Bonjour (Bonsoir
Nous sommes ici réunis pour célébrer le départ de l'un des membres les plus éminents et âgés de l'ADFQJNAJV (Association Des Films Que Je N'Avais Jamais Vu).
Ce départ brise le cœur de toute notre noble association, mais réjouissons-nous quand-même, car cet être extraordinaire continuera d'exister ailleurs, dans un monde meilleur, le Paradis des films vus.
Veuillez accepter de rester pour un éloge du défunt.
Métropolis de Fritz Lang, vis le jour en 1927, fils de Fritz Lang et de Thea von Harbou, son épouse et scénariste de cet enfant prodige que les heureux parents venaient d'avoir. Il raconte l'histoire d'une ville futuriste, dans laquelle les riches vivent dans les hauteurs de la ville, et les pauvres dans ses sous-sols ; ils y travaillent jour et nuit, pour faire fonctionner des machines qui « alimentent » la ville. Joh Fredersen règne en maître sur cette ville (dont l'aspect graphique a eu beaucoup d'influence à l'avenir). Un jour, son fils Freder rencontre Maria, une jeune fille issue du prolétariat. Il en tombe amoureux et décide de la suivre dans les profondeurs de la ville. Il découvre les conditions de vie des ouvriers, mais aussi que Maria est, pour les ouvriers, une sorte de prophétesse, annonçant à ses « frères », la venue d'un « médiateur », qui unira les patrons et les prolétaires, le cerveau et la main ensembles (ce médiateur étant symbolisé dans les paroles de Maria, comme le cœur). Pendant ce temps, Rotwang, un savant fou et maléfique, invente « l'être-machine », une sorte de robot humanoïde. Il cherche par la cybernétique, à ressusciter sa fille Hel, épouse de Joh Fredersen, morte en donnant naissance à Freder ; depuis, Rotwang voue à Fredersen une haine incommensurable, qui va se concrétiser au fur et à mesure que les événements se précipitent...
Le scénario n'est peut-être pas très original, vu comme cela, mais il est le moteur d'une histoire passionnante sur fond de lutte des classes. Car c'est bien de cela qu'il est question dans ce film : le prolétariat doit-il se révolter contre les patrons ? Ou doivent-ils vivre en bonne intelligence ? Le message du film n'est pas naïf, il fait l'apologie de l'amitié entre le patronat et le prolétariat. Sinon, ce sera la révolution, présentée ici comme mauvaise, car porteuse de mort et de destruction. Un message ô combien pertinent, quand on pense à ce qu'une certaine idéologie présentée par Karl Marx et reprise par Lénine, Trotsky, Staline et autres Mao Zedong a pu commettre comme crimes justifiés par la « lutte des classes », au nom de l'égalité entre les hommes.
Cela veut-il dire que le film est pro-patronat ? Pas davantage. L'attitude de Joh Fredersen est condamnable (et condamnée
), puisqu'il ne tente pas d'empêcher la révolution afin d'avoir le droit de mater la révolte dans le sang
. Les jeunes gens qui sont issus de cette classe sont présentés comme oisifs et inactifs. Le décalage entre le monde riche et bénéfique des bourgeois et l'univers froid et meurtrier du sous-sol de la ville est effrayant. Toutefois, je décèle un point commun entre ces deux mondes : dans les deux cas, le monde est froid, dépourvu d'émotions, robotisé. Cela se retrouve dans la monstrueuse mécanique du sous-sol de Métropolis (où les ouvriers accomplissent quotidiennement les mêmes tâches, et ce jusqu'à leur mort) ou dans l'architecture de la ville-haute, avec ses courbes désespérément parfaites et sa froide logique, dans laquelle il est normal d'envoyer un malheureux fonctionnaire à la mort, c'est-à-dire à l'usine. Tout y est froidement mécanique. Dès lors, l'invention diabolique de Rotwang n'est-elle pas située dans la droite lignée de cet environnement ?
Je m'arrête un instant sur un élément important du film : les « visions ». Parfois, le personnage principal est en proies à des visions, qui ne sont pas réelles, mais qui permettent de montrer ce qu'il ressent ou d'approfondir certains éléments de scénario. Par exemple, Freder « voit », lorsqu'il arrive pour la première fois dans la ville ouvrière, des ouvriers à leur travail ; puis, grâce à un fondu, il aperçoit par la suite des ouvriers montant comme à l’abattoir jusqu'à une gigantesque statue de Moloch-Baal, dieu carthaginois auquel on sacrifiait des enfants en les jetant dans la gueule béante de sa statue. C'est le cas ici, et les ouvriers sont dévorés par Moloch dans la bouche duquel on peut apercevoir un feu. Comme si l'enfer attendait les ouvriers, comme si leur condition était infernale. La comparaison avec Moloch est ici frappante : on sacrifie à une idole païenne sanguinaire, symbole du ( ?) les propres enfants de cette ville. ; comme si on voulait s'attirer les faveurs de Moloch-Baal.
Par ailleurs, la symbolique religieuse est très importante : d'abord les visions de Freder, mais aussi les nombreuses analogies à l'idolâtrie. En effet, il est question d'une tour de Babel, construction humaine pour « égaler » Dieu, en atteignant les cieux. Ou encore d'un moine évoquant l'apocalypse, dont l'un des signes est la « grande prostituée » personnifiée ici par l'être-machine ayant l'apparence de Maria ; d'ailleurs, le nom n'est pas choisi au hasard : Marie, c'est le nom de la mère de Dieu dans l'évangile et la grande prostituée serait donc, en quelque sorte, l'équivalent maléfique de celle-ci. Toutes ces allusions montrent que la ville est retombée dans une sorte de paganisme, que le christianisme a éliminé en son temps.
Ah, excusez-moi, on me fait signe d'écourter mon éloge funèbre car je parle trop. Je vais donc traiter en vitesse d'un point important : la fin du film. L'influence de ce dernier sur des œuvres ultérieures a déjà été traité par beaucoup de monde, qui en ont parlé beaucoup mieux que je ne le ferais (ce qui ne veut pas dire que je suis le seul à pouvoir traiter de la fin correctement).
Cette fin n'est pas naïve, elle exprime un idéal : l'union des ouvriers et des patrons par l'amour (raison pour laquelle Hitler aimait le film : l'union des ouvriers et des patrons autour de lui-même, ce qui prouve qu'il n'avait pas tout à fait compris le message du film). Nous avons aujourd'hui une haine des « happy ends », car nous avons tendance à les trouver niaises. Mais ici, la fin n'est pas vraiment heureuse, mais porteuse d'un message d'espoir : après avoir échappé au capitalisme sauvage (et non pas au capitalisme tout court, puisque les ouvriers le resteront vraisemblablement et les patrons aussi) et au marxisme, les prolétaires et les bourgeois s'uniront peut-être pour prospérer ensembles. Mais il ne faut pas oublier pour autant que le danger sera toujours présent et que les hommes doivent faire un effort pour atteindre ce but comme le symbolise le message au début et à la fin du film : « entre le cerveau et la main, le médiateur doit être le cœur ». Mais ce n'est qu'une probabilité, pas une nécessité.
Le progrès n'est pas une évidence (tout ne se terminera pas forcément dans la joie et la bonne humeur) mais un but possible.
Il y aurait encore tellement de choses à dire sur cet être charmant et sur sa richesse incroyable. Je n'en ait hélas pas le temps. Je conclurais simplement en m'adressant à ceux qui rencontreront ce film de ne pas s'offusquer des aspects du film différent de ceux que nous connaissons (par exemple, des visions ou de l'influence romantique, au sens allemand du terme, avec des auteurs comme Goethe). Il faut accepter que le film vienne d'une autre époque, où le cinéma venait à peine de faire ses premiers pas. Certains ne l'ont pas fait, comme Orson Welles, qui détestait ce film, l'accusant de n'être rien d'autre qu'un ramassis de bêtises. De la part d'un auteur comme celui-ci, c'est rageant. Avant de déclarer cela, ou d'acclamer le film, c'est selon, je ne peux que vous conseiller de visionner ce film et d'apprécier toute sa richesse et son message, encore d'actualité aujourd'hui. Les cinéphiles, qu'ils soient fans de science-fiction ou non, y trouveront beaucoup, et surtout matière à réfléchir, sans oublier un style visuel que l'on retrouve dans de nombreux films de science-fiction comme Blade Runner, Dark City, Le Cinquième élément ou encore Le Roi et l'Oiseau.
Et permettez-moi à présent d'exprimer tout simplement mon chagrin face au départ de cet être cher en m'adressant tout simplement à lui :
Métropolis... je t'aime.