Bien avant la version réorchestrée par Giorgio Moroder (1984), "Metropolis" de Fritz Lang, réalisé en 1926 et initialement sorti l'année suivante, a connu un destin bien difficile. Entre les ressorties en version restaurée ou intégrale, les réorchestrations de la bande originale, ainsi que les morceaux de pellicules perdus puis retrouvés aux quatre coins du monde, il va de soi que 93 ans après, cette production n'a pas fini d'entendre parler d'elle. Mais à quel prix.
Quand, en 1965, le compositeur Konrad Elfers (trilogie du "Docteur Mabuse") créé une nouvelle bande-son à cette dystopie ayant traversé les âges, il ne lui reste alors que de quoi concevoir 80 minutes de film, raccourcissant considérable le chef d'oeuvre de Fritz Lang dont l'intégralité des bobines réunies duraient au-delà des trois heures. Nous sommes en 2026 (soyons prêt...) et la ville de Metropolis divise son peuple en deux: les familles aisées et intellectuellement dirigeantes occupant la partie supérieure, et les ouvriers, acharnés au travail du fonctionnement des machines occupant la partie inférieure. En dépit de ce monstre prépondérant qu'est la mécanique, Freder (Gustav Fröhlich) s'enlisse dans un projet sentimental avec Maria (Brigitte Helm), femme de la basse ville souhaitait instituer la paix entre ouvriers et dirigeants. Rotwang, inventeur, atteré par l'épuisement et les actes manqués des ouvriers, décide illégitimement de mettre en place un automate à l'effigie de Maria, dont le discours social le consterne. Le savant réussit à capturer la jeune fille à l'égard des soupçons de Freder, sans se douter qu'elle anéantira la ville dans le chaos. Au point de se demander qui, entre la femme et le robot, a pris le pas sur l'autre... Cette réhabilitation sortie en 1965, en plus de réussir le pari de réduire une telle fresque en quatre-vingt minutes, bénéficie d'une nouvelle bande-son inouïe composée par Elfers. Loin de la bande-son, plus commerciale de Giorgio Moroder (en collaboration avec des artistes populaires tels que Bonnie Tyler, Jon Anderson et Freddy Mercury), elle transpose le film en un véritable opéra aux sonorités religieuses, voire sonores.
Les images de l'incipit se centrant sur les machines, sont rythmées par les sons de trompette issues de la musique, quasi-substitut du son avant l'heure.
Avec seulement 80 minutes de film, cette version n'a rien à envier au film que nous connaissons tous, tant le traitement des sujet phares conserve toute sa rigueur et sa superbe. Si les parties manquantes sont raccourcies, nous, insignifiants spectateurs que nous sommes face à la grandeur de l'oeuvre, ne pouvons que nous incliner sec face à l'esthétique stupéfiante de l'univers imposé par un Fritz à la Lang cinématographique bien pendue et au scénario phare de la science-fiction. Effectivement, s'il y a bien quelque chose qui frappe indéniablement dans "Metropolis", c'est sa richesse analytique: les décors, avec ces tours gigantesques dont on ne voit pas le bout, ces grottes abyssales occupées par des centaines d'êtres vivants mystiques, ou encore ces autoroutes suspendues. Les thématiques de la frontière entre l'Homme et la Machine et de la division sociale sont servies par les paraboles majeures de l'expressionnisme allemand, dont le savant fou, reflétant les folies de la science et du progrès... Ainsi que la ville, à l'image d'une utopie déchue et ses créatures corrompues, sans oublier les formes géométriques diffuses, donnant un sentiment de domination...
(le monstre mécanique rond, échappant de la vapeur, sur lequel le travailleur peine à suivre le rythme)
...annonçant l'impossibilité radicale de fuir son destin sous la domination du tout puissant.
Au-delà de la variété des thèmes, exploités ici mieux que partout ailleurs, les techniques scéniques sont incroyables, la photographie est fantastique et nous invite vers un ailleurs plus, ou moins proche de notre société.
Des images quasi-hypnotisantes telles que les hommes au travail sur leur machine, la foule d'ouvriers avançant sans faux-pas au cours de la scène d'introduction, les visages des deux Maria qui ne font plus qu'un, toutes ces plongées sur le monde du sous-sol accompagnées par les jeux de lumières, la condamnation à mort au bûcher de robot Maria faisant explicitement allusion à celle de Jeanne d'Arc, le règlement de compte final sur le toit de la cathédrale,... J'applaudis!
Avec "Metropolis", nous touchons largement au domaine de l'œuvre d'art. Aussi farfelu qu'il en a l'air, l'univers, hybridation de science-fiction et d'architecture du début du XXème siècle, et la bande-son religieuse se marient bien, et rendent tout à fait justice à l'un des long-métrages omniscients, les plus impressionnants jamais imaginés. Serait-ce par hasard si des oeuvres en tout genre telles que "Le Roi et l'Oiseau" (1980), le manga "Gunnm" ou encore les romans de Philip K. Dick y font sans cesse allusion, d'une part avec leur univers, de l'autre avec une ré-investigation du discours social ? Un film hors du temps.