Après la Première Guerre mondiale, le cinéma allemand entre dans une période d’ébullition créative sous l’égide de réalisateurs célèbres, dont Fritz Lang. L’expressionnisme met alors l’accent sur le réalisme et devient un séisme avant-gardiste qui atteint le monde entier. Sa fascination pour les impulsions sombres et torturées préfigure l’Allemagne nazie. Fondé sur les tendances parallèles de l’art et du théâtre, l’expressionnisme recourt à des plateaux et des éclairages grandement stylisés. Le jeu d’acteur, délibérément appuyé, traduit les forces et les états psychologiques extrêmes qui bouillonnent dans la société allemande.
Réalisé par Fritz Lang, le réalisateur tyrannique à l’emblématique monocle, et principalement scénarisé par son épouse, Thea von Harbou, Métropolis peut être assimilé à une superproduction, au regard des moyens financiers, matériels et humains engagés pour l’époque : 5 millions de Reichsmark (soit 15 millions de francs), une cinquantaine d’automobiles, 620 kilomètres de pellicule et 25 000 figurants.
Le tournage débute en mai 1925 et ne se termine qu’en octobre 1926. Pour augmenter ses chances de donner naissance à un chef d’œuvre, Fritz Lang s’entoure du spécialiste et pionnier des effets spéciaux Eugen Schüfftan, connu pour avoir développé la technique qui porte son nom. L’effet Schüfftan, apparu dans Les Nibelungen (également réalisé par Fritz Lang) en 1923, est utilisé à grande échelle dans Métropolis, grâce à un miroir semi-réfléchissant incliné qui mélange maquettes et décors de taille réelle, donnant ainsi l’illusion d’un décor gigantesque en perspective, dont l’apparence est influencée par la visite de New-York par Fritz Lang, en octobre 1924, émerveillé par les gratte-ciels. Métropolis est également inspiré des mouvements futuristes et Art déco.
La bande-originale, qui participe à la narration et à l’atmosphère grandiose et oppressante de cette ville futuriste, a été conçue pour être exécutée par un orchestre symphonique en accompagnement du film. Son compositeur, Gottfried Huppertz, s’est inspiré des œuvres de quelques-uns de ses plus illustres prédécesseurs, dont Wagner et Strauss, mais aussi de collègues contemporains, comme Miaskovski et sa symphonie n°6. Le chant liturgique du Dies irae est également repris, tout comme la Marseillaise, dont les premières notes sont aisément reconnaissables au cours de plusieurs séquences.
Principale vedette de cette production prestigieuse et ambitieuse, Brigitte Helm est encore inconnue du public lorsqu’elle est recrutée pour jouer le double rôle de Maria et du robot, à seulement 19 ans. Malgré le tournage éreintant, et parfois dangereux, imposé par Lang, la jeune actrice obtient la reconnaissance en Allemagne et à l’étranger. Envoûtante, séduisante et hypnotique, Brigitte Helm offre incontestablement la prestation la plus aboutie et la plus convaincante. Enfin, les conséquences favorables en terme de notoriété sont les mêmes pour Alfred Abel (le maître de Métropolis) et Gustav Fröhlich, qui incarnent ici leur rôle le plus connu de leur carrière respective, bien que le premier ait déjà collaboré avec Lang pour Docteur Mabuse le joueur et Le Fantôme en 1922.
Découpé en trois parties de durée inégale, le scénario de Thea von Harbou, bien que traitant de la révolte d’une classe inférieure opprimée, ne partage pas l’idéologie de films révolutionnaires contemporains tels que Le Cuirassé Potemkine. En effet, à l’inverse de la lutte des classes érigée en clé de voûte de l’œuvre phare de l’avant-garde russe, Métropolis prône et défend une collaboration des classes, une idéologie fasciste dans laquelle il semble nécessaire et légitime qu’un groupe social soit dominé par une autre, pour permettre l’unité nationale et la prospérité de toute la société. Ainsi, dans cette perspective, la morale et le message véhiculés par l’épilogue sont clairement conservateurs, au détriment des libertés individuelles, de l’égalité entre les hommes et des conditions de vie d’une classe sociale exploitée.
Métropolis conclut la spectaculaire série des films expressionnistes, alors que ces productions font leur marque à l’étranger, et achève de fouiller encore plus profondément dans les anxiétés et les turbulences politiques qui hantent la République de Weimar. Toutefois, l’idéologie défendue par une artiste fidèle au nazisme jusqu’aux dernières heures de son existence, et l’emphase adoptée dans les interprétations caractéristiques de ce mouvement allemand emblématique décrédibilisent cruellement un scénario inédit, brillant et ambitieux. La technique des effets spéciaux, novatrice et ingénieuse, fait de Métropolis une référence primitive du genre de la science-fiction, glorifiée par une bande-originale de qualité et un scénario bien développé pour la fin des années 1920. Mais ces atouts ne suffisent pas à faire de Métropolis un chef d’œuvre car plane sur lui l’ombre terrifiante d’un nazisme en croissance.