Film culte, il est surtout un film monstre tout d’abord par le budget engagé qui coulera même les studios au vu du fiasco commercial à sa sortie, aussi par le nombre de figurant, sa longueur et son histoire rocambolesque. En effet, ce film est un miracle ; pellicules perdues, endommagées ; il renait de ses cendres en 2008 après un gros travail de reconstruction. Thea Von Harbou, compagne de Fritz Lang, écrit un scénario un peu angélique dans lequel toutes les classes sociales finiraient par se réunir autour d’un même idéal. Une forme d’anti communisme avant l’heure et un contrepied à l’autre film engagé de l’époque prônant à l’inverse la lutte des classes ; « Le cuirassé Potemkine ». Pour cette raison, Hitler fit de ce film son emblème et proposa même à Fritz Lang de diriger les studios de la propagande nazi. Proposition qui le fit fuir l’Allemagne. Sa compagne, elle, restera et partagera pour partie l’idéologie nazi ; ce qui apporte de la confusion quand on voie ce film dont le message est qu’il faut un médiateur entre la tête et les mains. Qui est la tête ? Les mains ? Et le cœur ? Donc c’est la plus grande faiblesse du film, ce discours utopiste alambiqué voire parfois confus. Pour le reste ce film est une œuvre incontournable du 7ème art.
Damien Taymans : « En 2026, l’industriel Joh Fredersen dirige une gigantesque ville construite entièrement à la verticale séparée en deux : en haut, le quartier des puissants, en bas celui des travailleurs. Son fils Freder s’aventure dans les entrailles de la cité et découvre que des ouvriers se tuent à la tâche toute la journée pour permettre à Metropolis de perdurer. C’est également dans ces lieux qu’il fait la connaissance de Maria, jeune femme engagée qui prêche l’espoir et fait naître chez ses frères une espérance d’amélioration de vie lorsque le médiateur débarquera pour les sauver. Mais retranché dans sa sombre demeure, un savant fou enlève Maria pour donner son apparence séduisante à un robot qu’il a conçu et auquel il ordonne de soulever les ouvriers pour détruire la ville…
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne est en proie à de multiples crises politiques et sociales, à l’inflation et au chômage. La création artistique, quant à elle, se voit libérée et en profite pour battre son plein, se déversant notamment dans une nouvelle tendance à la mode : l’expressionnisme. Après avoir conquis les domaines pictural et littéraire, l’expressionnisme touche le septième art, devenu pour beaucoup le meilleur moyen de lutter contre l’art élitiste progressiste et le divertissement de masse réactionnaire. En 1920 naît Le Cabinet du docteur Caligari qui use de nombre d’artifices pour imposer son style propre (décors en trompe-l’œil, fausses perspectives, gestuelles extrêmement stylisées, cadrages obliques, éclairages dramatiques, maquillages surfaits, …). Le fantastique cinématographique se développe dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres en dressant le portrait de monstres, légendaires ou mythiques (Le Golem) et des héros germaniques. Une nuit de 1924, dans un voyage effectué en Amérique avec Pommer, magnat des studios allemands Ufa, Lang est subjugué par l’architecture newyorkaise, aux contours géométriques et aux élévations unanimement verticales, des décors atypiques qui retrouveront un alter ego dans les bâtiments de Metropolis représentant un monde futuriste à l’instar des Amériques en avance sur leur temps.
Comme dans Nosferatu et Caligari, l’architecture joue ici un rôle prépondérant, devenant un personnage à part entière, stigmatisant l’organisation draconienne de la cité qui trouve également une correspondance du côté de la foule d’esclaves aux démarches robotiques qui se déverse en longues rangées monotones avec une précision millimétrée. En ce sens, Metropolis semble davantage s’attacher à dépeindre la situation du Nouveau Monde dont les masses se retrouvent écrasées par le pouvoir d’un capitalisme grandissant qu’à stigmatiser les dérives sociétales germaniques post-1918. La société de Metropolis, à l’instar de celle outre-Atlantique, est construite sur une opposition entre bourgeoisie et prolétariat, antagonisme soutenu par de nombreux éléments : le cadre de vie (les quartiers rayonnants et spacieux d’en haut et les maisonnettes resserrées du bas), les apparences (les riches sont épanouis comme l’illustre l’image christique de Freder dans les Jardins éternels tandis que les pauvres semblent bien ternes et se voient vêtus à l’identique) et les activités (oisives pour les bourgeois et inexistantes pour les prolétaires). Renvoyant à de nombreux mythes (comme la métaphore de la tour de Babel conté par Maria), le scénario édifié par Theo von Harbou, l’épouse de Lang, accumule les points de dissension entre les deux classes en les confinant dans un rôle particulier : les ouvriers sont les mains, Fredersen et le scientifique sont les cerveaux tandis que l’élément essentiel (le cœur représenté par le médiateur à savoir Freder) manque pour l’équilibre de la cité.
Bien plus qu’une simple fable moralisatrice à dessein sociologique, Metropolis vaut aussi et surtout pour son introduction de thèmes qui seront constitutifs de nombre d’œuvres science-fictionnelles futures, à savoir l’intelligence artificielle (l’androïde Futura créée à l’image de l’homme qui échappe rapidement au contrôle de son créateur) et la perte du contrôle de l’humain sur les créations technologiques (une thématique largement exploitée qui fut à l’origine de la paranoïa réac’ post-1945). Metropolis ne se voit en rien altérée par le poids des années qui se sont déversées : il conserve son statut d’œuvre fondamentale, de pierre angulaire autant du cinéma expressionniste allemand (dont elle est un des derniers représentants) que du patrimoine artistique mondial (accessit stigmatisé par l’UNESCO notamment). »
tout-un-cinema.blogspot.com