Dans la nuit espagnole, en pleine guerre civile, un train explose. Deux hommes s’enfuient, des soldats à leurs trousses. L’un d’eux est touché. Pour lui éviter de tomber aux mains de l’ennemi, son compagnon l’achève.
Ce dernier s’appelle Robert Jordan, il est américain et combat aux côtés des républicains. Sa prochaine mission : faire sauter un pont lors d’un assaut d’envergure contre les troupes franquistes. Dans les montagnes, l’"Inglés" rejoint un groupe dirigé par une femme, Pilár. Celle-ci a recueilli la jeune María, dont les parents ont été tués par les franquistes. Robert et María tombent amoureux…
Comment traduire à l’écran l’idéalisme et le romantisme sombre du roman Pour qui sonne le glas d’Ernest Hemingway ? La Paramount, qui avait racheté les droits du livre, voulut en faire une superproduction mélodramatique tournée dans la Sierra Nevada californienne. Et fit beaucoup passer à la trappe le contexte politique; toile de fond pourtant essentielle de l'oeuvre.
La bienveillance d'Hollywood pour le dictateur Franco
Immense écrivain, futur lauréat du Prix nobel de littérature en 1954, Ernest Hemingway fit partie, aux côtés d'André Malraux ou de son confrère John Dos Passos, de ces écrivains marqués à gauche qui s'engagèrent durant la guerre civile qui ravagea l'Espagne entre 1936 et 1939.
Un engagement à des degrés divers d'ailleurs : si Malraux s'engagea aux côtés des républicains en achetant des armes et commandant même une escadrille, Hemingway a couvert quant à lui la guerre en tant que journaliste.
Le généralissime et dictateur Franco, qui dirigera le pays d'une main de fer jusqu'à sa mort en 1975, avait logiquement une aversion pour Hemingway et ses écrits, au point que ses oeuvres furent interdites. Il mobilisa même ses services diplomatiques dans le but de faire changer le script du film produit par la Paramount. Et Hollywood, en ce temps-là, n'était pas tout à fait insensible aux demandes du chef de l'état espagnol...
Un article du journal El Pais, daté de 2013, relate justement cette intéressante anecdote. Un universiaire américain du nom de Douglas LaPrade, auteur d'une thèse soutenue en 1988 portant sur l'interdiction et la censure de l'écrivain sous le régime franquiste, pointa au cours de ses recherches que les services de censure du régime mandata les consuls espagnols ainsi que les ambassadeurs en poste aux Etats-Unis pour faire pression sur Hollywood concernant le script du film, afin d'y apporter des modifications.
Ils insistèrent par exemple pour faire disparaître les mots "phalangistes" ou "fascistes" dans les dialogues, remplacés par le mot "nationaliste". Là où Hemingway évoquait les 'républicains loyalistes", la délégation diplomatique de Franco préférait parler des "Rouges". C'est tout de suite plus clair...
José Félix de Lequerica, ministre des Affaires étrangères de Franco et futur ambassadeur d'Espagne à Washington, accusa le script de Pour qui sonne le glas de "présenter les faits historiques de manière distordue".
"Il est notoire que les studios à Hollywood étaient enclins à satisfaire les exigences de Franco" explique l'universitaire. "Aux Etats-Unis, il avait de nombreux soutiens, ils ne voulaient pas d'un autre ennemi en Europe. Il faut garder à l'esprit que la guerre contre Hitler et Mussolini était en cours, et ils ne voulaient pas ouvrir un nouveau front".
Sorti en 1952, alors que l'Amérique était en plein Maccarthysme et paranoïa anti-communiste, Les Neiges du Kilimandjaro d'Henry King fut mutilé par les ciseaux de la censure, à la grande satisfaction des diplomates espagnols. Pour mémoire, le film était une adaptation d'une courte nouvelle écrite par Hemingway.
Le consul en poste aux Etats-Unis, José Pérez del Arco, fit part de cette réserve concernant ce film : "après avoir lu le scénario, il conserve, comme on s'y attendait, l'ancienne terminologie de "loyalistes" et de "rebelles", et présente la zone rouge espagnole d'une manière déformée, comme cela a été présenté dans de nombreux romans et films dans ce pays. J'ai a apporté une série de corrections au scénario, dans le but de le concentrer sur la vérité historique".
Qu'a pensé d'ailleurs Hemingway de tous ces caviardages et cette obsession du gouvernement de Franco pour son oeuvre ? "Il s'en fichait. Il avait gagné tellement d'argent et était tellement connu" conclut Douglas LaPrade.