Février 2007. La 43e édition de la Conférence de Munich sur la sécurité bat son plein. Thème retenu de l'année : "A crises mondiales, responsabilités mondiales". Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie, s'avance vers son pupitre pour prononcer son discours. Il a le visage fermé, et s'apprête à envoyer un coup de semonce dénonçant l'impérialisme américain :
"C'est quoi un monde unipolaire ? Vous avez beau vouloir enjoliver ce terme, il ne signifie en réalité qu'une seule chose : un seul centre de pouvoir, un seul centre des forces, un seul centre décisionnaire. C'est le monde d'un seul maître, d'un seul souverain".
Un discours qui frappe les esprits, mettant en scène le retour d'une Russie puissante, capable de tenir tête au géant américain. Mais l'Occident, et les Etats-Unis en particulier, ne prendront pas au sérieux l'importance de ce discours, qui déterminera pourtant toute l'action extérieure dans les années à venir d'un homme arrivé à la tête d'un pays sept ans auparavant. Un pays qui était, au début des années 2000, ruiné, méprisé et isolé par les Vainqueurs de la Guerre Froide.
Tel est le point d'ancrage du remarquable documentaire Poutine : le retour de l'ours dans la danse, rediffusé ce 11 mars à 9h25 sur Arte et disponible en replay jusqu'au 16/03. Réalisé par le documentariste chevronné Frédéric Tonolli, récipiendaire d'ailleurs du prestigieux Prix Albert Londres en 1996, il est d'autant plus passionnant et indispensable qu'il donne de très précieuses clés pour comprendre le cheminement de cet ex officier du KGB brûlant d'une obsession secrète, du moins à ses débuts : replacer la Russie au coeur de l'échiquier mondial.
Le réveil de l'ours russe
Ce dernier l'a d'ailleurs toujours dit : la disparition de l'URSS fut une catastrophe. "Quiconque ne regrette pas l'Union Soviétique n'a pas de coeur, mais quiconque veut la reconstituer n'a pas de tête" déclara Poutine, dont les propos sont cités dans le documentaire par Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères et fin connaisseur du dossier.
"Lors de la réunification de l'Allemagne, des promesses ont été faites au plus haut niveau. L'Otan ne se rapprocherait pas de la Russie. Malgré l'engagement pris avec Gorbatchev, l'Otan a poursuivi toujours plus loin vers l'Est" commente pour sa part Dimitri Muratov, rédacteur en chef du célèbre journal d'investigation Novaya Gazeta, Prix Nobel de la Paix en 2001. Un journal qui a d'ailleurs payé un terrible tribut dans sa quête de vérité, avec six de ses journalistes assassinés, dont la plus célèbre, Anna Politkovskaïa, en 2006.
Le mépris souverain affiché envers la Russie durant des années a fini par réveiller l'ours russe. Et le réveil sera brutal... Lorsque Poutine voit peu à peu l’Otan se rapprocher des frontières russes grâce à l’adhésion d’ex-pays du bloc de l’Est, il se sent menacé et trahi. Tacticien et opportuniste, il frappe vite et fort en pratiquant une diplomatie du marteau.
Annexion de la Crimée en 2014, dans le sillage de la Révolution ukrainienne, soutien aux séparatistes du Donbass. Soutien au régime de Bachar Al Assad alors plongé en pleine guerre en Syrie, en menant là-bas une guerre dite "hybride", car elle mélange des troupes envoyées par la Russie avec les mercenaires du groupe Wagner. Si le Kremlin n'a jamais reconnu officiellement l'existence de ce groupe, il reste pourtant un levier essentiel dans la plupart des interventions de la Russie sur les théâtres extérieurs.
Fondé par Evgueni Prigojine, surnommé "le cuisinier de Poutine", ce groupe permet à ce dernier d'imposer la présence russe dans des zones jusqu'alors considérées comme les chasses gardées de pays comme les Etats-Unis ou la France. En Libye, 2000 mercenaires de Wagner seront ainsi envoyés pour consolider les intérêts russes. Economiques, bien entendu.
"Jamais l'URSS n'a eu autant d'amis au Proche et Moyen Orient que depuis l'intervention de Poutine en Syrie" commente Alexandre Orlov, ancien ambassadeur de Russie en France, de 2008 à 2017. "La Russie est devenu un élément incontournable de toute négociation ou règlement de paix dans cette région du monde". Le documentaire multiplie ainsi les exemples de ce nouvel interventionnisme russe protéiforme : Afrique, Géorgie, Abkhazie, forces d'interposition russes durant la guerre du Haut Karabagh en 2020... L'ours russe est bien rentré dans la danse sur la scène internationale, mais à quel prix désormais ?
Poutine : le retour de l'ours dans la danse - disponible sur Arte TV en replay jusqu'au 16 mars.