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    Un Si Grand Soleil : "il va y avoir un acte deux à l'histoire des témoins"
    Julia Fernandez
    Julia Fernandez
    -Journaliste Séries TV
    Elevée à « La Trilogie du samedi », accro aux séries HBO, aux sitcoms et aux dramas britanniques, elle suit avec curiosité et enthousiasme l’évolution des séries françaises. Peu importe le genre et le format, tant que les fictions sortent des sentiers battus et aident la société à se raconter.

    Directeur d'écriture sur la série, Sébastien Fabioux nous parle de son métier et de sa participation à l'intrigue du moment, qui interroge la notion de non-assistance à personne en danger lorsque plusieurs personnages sont témoins d'une agression.

    Vous êtes scénariste sur Un Si Grand Soleil. Quelle est votre fonction précise dans la conception des intrigues de la série, et comment se déroule votre travail ?

    Sébastien Fabioux : Je suis directeur de collection. L'écriture des séries quotidiennes est très différente des séries classiques, puisqu'une saison comporte 250 épisodes. On travaille en ateliers, directement inspirés des méthodes américaines, et je crois que ce sont les seules fictions en France pour lesquelles on fonctionne de cette manière. 

    J'ai une première équipe qui s'occupe des séquenciers, une seconde en charge des dialogues et mon rôle est de superviser tout ça, notamment en ce qui concerne les histoires et le découpage des intrigues.

    Comment sont choisies les intrigues principales et secondaires ? En tant que directeur d'écriture ou scénariste, pouvez-vous être force de proposition sur les sujets et thèmes abordés, ou cela revient-il aux créateurs de la série ?

    Les créateurs de la série font de toute façon partie de l'équipe d'écriture, soit aux dialogues soit aux histoires avec moi. On propose des intrigues, on en discute ensuite avec la production puis avec la chaîne. Une fois que tout le monde s'est mis d'accord sur les choix, on les développe.

    Généralement, on jette très peu de choses ; les trois-quarts de ce qu'on propose finissent par être validés, même si des changements se font toujours en cours de route. On ne perd pas trop de temps à produire des histoires qui ne vont pas être faites.

    Parmi toutes les intrigues sur lesquelles vous avez travaillé, lesquelles vous ont le plus marqué ?

    Et bien en l'occurrence celle de l'agression de Lila, récemment diffusée, m'a tenu particulièrement à cœur. Ça tombe très bien que vous m'en parliez ! (rires) 

    La série avait déjà abordé des sujets sensibles par le passé, comme les séquelles psychologiques suite à un viol avec le personnage de Mo (Frédérique Kamatari), le slut-shaming au lycée avec Inès (Maéva El Aroussi)...

    Tout à fait, et d'ailleurs cette intrigue sur les témoins de l'agression de Lila permet de faire ressurgir le traumatisme de Mo, et de voir que tout cela ne se termine finalement jamais.

    Face à l'agression de Lila, plusieurs personnages sont témoins des faits mais ne réagissent pas, ou trop tard. Qu'est-ce qui a initié l'envie de parler du harcèlement de rue et de la non-assistance à personne en danger ?

    Souvent, en tant que scénaristes, nous nous inspirons de notre vie, de notre société, des journaux... Le harcèlement de rue a été beaucoup plus dénoncé ces dernières années, et ça faisait longtemps qu'on envisageait de faire une intrigue autour de ça. On ne savait pas trop comment traiter le sujet, on ne voulait pas non plus faire de la démagogie.

    Et puis on a trouvé cette histoire de témoins qui permettait d'aborder ce sujet avec une enquête policière bien marquée, comme dans un film de genre, avec tous ces témoins qui sont connectés entre eux à différents niveaux, et qui, pour des raisons différentes, n'ont pas pu intervenir. Et comme pour la majorité d'entre eux, il s'agissait de personnages récurrents de la série, ça a pris forme d'un seul coup.

    Un Si Grand Soleil
    Un Si Grand Soleil
    Sortie : 2018-08-27 | 26 min
    Série : Un Si Grand Soleil
    Avec Melanie Maudran, Fabrice Deville, Marie-Gaëlle Cals
    Presse
    2,8
    Spectateurs
    1,7
    Voir sur france.tv

    Ça permet en effet de mettre en situation plusieurs personnages qu'on connaît, et de questionner le spectateur sur les causes de leurs réactions...

    Tout à fait, et de les connecter entre eux par cet événement alors qu'ils n'avaient pas forcément de rapport les uns avec les autres. On voulait aussi traiter d'un incident banal : ce n'est ni une machination ni un meurtre prémédité.

    Ça part d'un truc tout bête : deux étudiants se mettent à draguer une jeune femme en terrasse, commencent à insister lourdement jusqu'à ce qu'elle les envoie balader. Ils le prennent mal et commencent à la suivre, et ça dérape. On voulait vraiment montrer une situation "banale" qui dégénère. 

    C'est d'autant plus difficile à regarder lorsqu'on sait qu'en France, plus de 80% des femmes déclarent avoir été victimes de harcèlement dans un lieu public au moins une fois dans leur vie, d'après un sondage IPSOS en 2020. 

    Tout à fait. Et souvent, ce qui nous marque dans ce genre de fait divers, qui se sont tristement multipliés, c'est de voir que les gens autour ne réagissent pas. Ça nous questionne, non pas pour dire que les gens sont lâches, car nous-mêmes nous ne savons pas quelle serait notre réaction dans une situation comme celle-là, même si chacun aime à dire qu'il interviendrait. 

    Sur Un Si Grand Soleil, ça fait longtemps qu'on essaie de ne pas tomber dans la caricature en enfonçant des portes ouvertes. Je voulais montrer que c'était trop facile de dire que tous ceux qui n'intervenaient pas le faisaient par lâcheté, et qu'il y avait parfois des raisons plus profondes.

    Mo par exemple, est sidérée par ce qu'elle voit car elle est renvoyée à son traumatisme. Mais si après avoir vu la série, certains spectateurs se disent que si jamais ils assistent à ce genre de situations, il faut absolument qu'ils interviennent et dépassent leur peur, tant mieux ! (rires)

    Avez-vous régulièrement recours à des organismes ou des associations de victimes que vous consultez pour écrire ce genre d'histoires ? Ça a été le cas pour l'intrigue sur Mo notamment, avec le Collectif féministe contre le viol.

    Oui, tout à fait, ça nous arrive assez régulièrement. Dernièrement, ce n'est pas moi qui m'en était occupé directement mais on avait fait une intrigue sur le masculinisme au lycée, avec Enzo (Teïlo Azaïs) et Inès. Là aussi on avait approché des associations.

    Ça nous permet déjà de ne pas dire de bêtises, ou du moins de ne pas en dire trop, car même si on fait au mieux ça peut arriver, et aussi d'avoir une meilleure approche pour sensibiliser les gens, en écoutant tout ce que les associations ont à nous dire sur tous ces sujets délicats et parfois douloureux.

    Pour l'élaboration des intrigues, avez-vous une vision à long terme des sujets que vous voulez traiter, ou bien vous laissez-vous parfois surprendre par l'actualité ?

    Oui, on ne veut pas être trop "à chaud" face à l'actualité ; d'autres séries sont plus au jour le jour dans leur traitement, mais nous avons voulu nous détacher de ça, car ça nous permet d'avoir un peu plus de recul sur les choses qu'on dit afin d'avoir une meilleure approche. Et aussi effectivement d'avoir le temps de consulter des personnes concernées par ce type de problématiques.

    L'an dernier justement, la production avait fait le choix d'ellipser la crise sanitaire, et de plutôt montrer les conséquences économiques pour les personnages quelques temps plus tard.

    Oui, la crise sanitaire est effectivement un bon exemple. Qui peut dire quelle sera la situation en France dans six mois ? Qui pouvait prédire comment les choses allaient évoluer ? Ça nous a incité à nous détacher de la réalité, en parlant quand même de sujets de société actuels, qui nous touchent tous. Mais en les abordant avec du recul, ça nous permet aussi d'être un peu plus subtils. On essaie, en tout cas.

    Dans l'équipe de scénaristes, travaillez-vous par affinités sur les différentes histoires ? Comment sont-elles réparties ?

    L'idée, c'est d'avoir des scénaristes qui soient polyvalents. C'est justement ça qui est amusant, de pouvoir passer, d'une scène à l'autre, d'intrigues légères de comédie ou d'amour à quelque chose de plus dur : du polar, d'un sujet de société fort...

    Si un scénariste ne devait s'occuper que de ça, au bout de quelques mois il serait bien déprimé, le pauvre ! (rires) C'est ça qui est vraiment passionnant dans ce type de séries, c'est de pouvoir alterner d'un genre à l'autre régulièrement, sans être enfermés dans des clichés ou des séquences-types.

    Justement, sur quelles intrigues travaillez-vous en ce moment ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

    Oui, je suis en train d'écrire des épisodes qui vont être diffusés fin novembre. Ce que je peux vous dire, c'est que je travaille encore sur l'intrigue de Ludovic (Folco Marchi) qui devient escort, et qui va prendre des proportions assez inhabituelles. (rires)

    Et je peux vous dire aussi qu'il va y avoir un acte deux à l'histoire des témoins. Elle semble se clore dans les derniers épisodes diffusés, puis on va passer à d'autres histoires et oublier tout ça. Et puis ça va revenir d'une façon un peu surprenante et très dramatique. 

    Pour finir, avez-vous le temps de développer d'autres projets en marge d'Un Si Grand Soleil ?

    En effet, j'ai eu la chance de pouvoir créer ma propre série pendant le confinement l'année dernière. L'arrêt de la diffusion et de l'écriture d'Un Si Grand Soleil pendant deux mois m'ont donné un respiration pour pouvoir écrire ce projet que j'ai créé avec une amie romancière, Estelle Surbranche.

    Ça s'appelle Girlsquad, produit par Katia Raïs pour France TV Flash. La première saison va être diffusée début juillet, et je suis en train d'écrire les grandes trames et les séquenciers de la saison 2. En revanche, pour la partie dialoguée, je vais être obligé, à regret, de laisser d'autres scénaristes talentueux s'en emparer.

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