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    Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait sur CANAL+ : la "fresque sentimentale" d'Emmanuel Mouret
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Emmanuel Mouret évoque son nouveau long métrage, diffusé sur CANAL+ ce mardi 25 mai : "Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait", histoire de sentiments à quatre voix, dans laquelle les personnages se croisent au gré des différents récits.

    Deux ans seulement après Mademoiselle de Joncquières, nommé à six reprises aux César 2019 (et récompensé pour ses costumes), Emmanuel Mouret a fait son retour avec son nouveau long métrage en tant que réalisateur et scénariste : Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait.

    En lice pour treize statuettes en mars dernier, il n'a remporté que celle de la Meilleure Actrice dans un Second Rôle, remise à Emilie Dequenne.

    Mais ce n'est pas une raison pour passer à côté de ce très beau film. Lequel n'est pas tant une histoire d'amour que de sentiments, au présent, et dans lequel Emmanuel Mouret alterne avec brio légèreté et gravité, longs discours et élans passionnés, dans des récits qui s'entrecroisent, portés par Camélia Jordana, Niels SchneiderÉmilie Dequenne et Vincent Macaigne.

    Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait
    Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait
    Sortie : 16 septembre 2020 | 2h 02min
    De Emmanuel Mouret
    Avec Camélia Jordana, Niels Schneider, Vincent Macaigne
    Presse
    4,3
    Spectateurs
    3,6
    Voir sur Arte

    AlloCiné : Il y a dans ce film un dialogue particulièrement intéressant, dans lequel un personnage précise qu'il ne raconte pas une histoire d'amour mais de sentiments. N'est-ce pas un bon résumé de vos films finalement ?

    Emmanuel Mouret : Oui c'est vrai. Je préfère parler d'histoires de sentiments et de désirs que d'histoires d'amour. Tout simplement parce que je ne sais pas très bien ce qu'est l'amour, et que c'est un mot très vague. Et puis le terme "histoire d'amour" a, à mon goût, un petit côté trop sirupeux (rires). Un côté fleur bleue. Quand on parle de sentiments et de désirs, on y perçoit peut-être plus, à la fois, le côté cocasse et la cruauté.

    Sans aller jusqu'à parler de film-somme, on retrouve ici beaucoup d'éléments de vos précédents longs métrages : les récits entremêlés comme dans "Un baiser s'il vous plaît", un côté choral certes moins prononcé que dans "L'Art d'aimer", de la manipulation comme dans "Mademoiselle de Joncquières", de la mélancolie…

    Je ne dirais pas que c'est un film-somme, ni même un aboutissement, car cela voudrait dire que c'est mon dernier. Et il n'y a pas vraiment de calcul dans l'écriture d'un projet à un autre. Je ne sais d'ailleurs jamais quel sera le suivant, car je travaille toujours sur plusieurs à la fois.

    Ce sont plus les situations sur lesquelles je suis parti, car au départ il y en a deux : d'abord celle du personnage incarné par Camélia, qui se retrouve avec celui de Niels Schneider, et cette idée que deux personnes se racontent leur intimité, et que ce récit crée du lien entre eux. Cette idée me plaisait, et j'aimais les récits dans les récits.

    Puis il y a cette autre partie, qui est plus pour moi comme une sorte de polar sentimental. Ou une drôle de revanche, avec une femme qui fait presque écho à Mademoiselle de Joncquières, qui fait qu'on se trouve entre la fresque sentimentale et le thriller sentimental. Mais quand un scénario démarre, il m'est très difficile de voir où il va aboutir.

    Comment s'écrit un scénario comme celui-ci, avec tous ces récits imbriqués les uns dans les autres ? Histoire par histoire avant de déterminer les points de jonction ? Ou segment par segment ?

    C'est un travail d'allers-retours. Il y a déjà un certain nombre de situations qu'on aime et qu'on a envie de mettre ensemble. Le très gros du travail concerne la structure, la composition. Comme un travail d'horlogerie, où il faut parfois fabriquer une pièce pour que tel récit aille avec tel autre.

    C'est du travail de plan, de mécanique, qui est très long et demande beaucoup de temps. Puis quand cette mécanique est trouvée, commence le travail de rédaction qui est, lui, beaucoup plus rapide.

    J'ai toujours besoin d'admirer mes personnages

    Qu'est-ce qui a guidé le choix de ce titre, qui renvoie notamment aux contradictions des personnages ?

    Il a déjà un côté programmatique, pour stimuler le regard du spectateur et l'inciter à mieux observer. Et dans ce titre qui, d'emblée, fait la promesse d'un écart entre ce qu'on dit et ce qu'on fait, il y a l'un des grands plaisirs du cinéma qui est un art du temps, celui dans lequel un film se déroule.

    Et le cinéma est là pour les histoires. Les fables et les contes même. Pour mesurer l'écart entre les engagements, les promesses, les choses dont on se prétend, et ce que le temps va révéler.

    Pour moi, c'est aussi un titre qui n'est pas du tout moralisateur, mais plein de tendresse. Je crois qu'il y a quelque chose d'assez rassurant, d'assez réconfortant à observer cette faiblesse constitutive de l'être humain chez d'autres personnes, car on ne peut pas toujours être à la hauteur de ses paroles.

    C'est aussi quelque chose qui dessine l'homme, et qui nous pousse à davantage d'indulgence à l'égard des autres et de soi-même.

    N'est-ce pas aussi une bonne façon d'évoquer le travail d'un réalisateur et scénariste comme vous, avec l'écart entre le scénario et les changements qu'il subit pendant le tournage ?

    Oui, tout à fait. La grande angoisse, sur les premiers films, c'est justement de faire ce qu'on a dit. L'expérience et le grand plaisir, dans la fabrication d'un film, c'est peut-être de se laisser surprendre par ce qui survient. Et de faire avec ce qui arrive. De découvrir le film que l'on est en train de faire.

    Vous parliez de tendresse à propos de ce titre, et on la retrouve dans le regard que vous portez sur vos personnages, car aucun d'eux n'a le mauvais rôle dans l'histoire.

    C'est pour moi un principe : j'ai toujours besoin d'admirer mes personnages. Même s'il s'agit de quelqu'un de terrible, comme Madame de la Pommeraye dans Mademoiselle de Joncquières, ou les méchants chez Hitchcock, il faut quelque chose que l'on puisse admirer chez eux.

    Ce qui peut parfois passer par de la douceur, de la fragilité, de l'exubérance. Mais je n'aime pas que l'on soit au-dessus d'un personnage, cela me met mal à l'aise en tant que spectateur.

    Et ce qui m'intéresse également, c'est de montrer des personnes qui essayent de bien faire. Ils tentent à la fois d'être fidèles aux gens qu'ils aiment, à leurs rôles de personnes sociales, attentionnées et qui se soucient de l'autre, mais ils essayent également d'être fidèles à leurs désirs, à leur appétit.

    Il y a un conflit de fidélité, et c'est pour moi ce qui fait le nœud de chacun d'eux. Ce qui est dramatique, c'est que les personnages essayent de bien faire, mais cela n'empêche pas la cruauté.

    Les Choses qu'on dit… : les films d'Emmanuel Mouret vus par Camélia Jordana, Vincent Macaigne et Niels Schneider

    "Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait" est le premier de vos longs métrages dans lequel vous n'apparaissez pas du tout. Est-ce parce qu'il y a un peu de vous dans chaque personnage ?

    Oui mais c'est toujours le cas. J'écris mes personnages, et notamment mes personnages féminins, en me mettant à leur place et en déportant l'action là où cela m'intéresse de l'emmener. Mais je me mets dans la peau de chacun des personnages, ce qui m'offre une grande intimité avec eux.

    Outre un aspect littéraire très prononcé, comme dans chacun des vos films, il est aussi question de philosophie et notamment de la notion de désir mimétique [selon laquelle l'imitation explique bon nombre de phénomènes humains]. Avez-vous choisi cela comme une autre manière de développer votre pensée ?

    Non, et je ne parlerais même pas d'aspect littéraire. Il y a un goût pour le romanesque, certes, pour les personnages qui argumentent, qui ont de l'esprit. Et je pense que c'est cet esprit et le fait qu'ils tentent de formuler leur pensée, de se définir à travers elle, qui peuvent donner cette impression. Mais cela m'échappe peut-être aussi car je ne peux pas être spectateur de mes propres films.

    Et ce qui m'intéressait en faisant intervenir un philosophe, c'était de le considérer comme un personnage du film. J'aime les récits dans lesquels on est proches des personnages avant de prendre, d'un coup, de la distance. Le philosophe nous aide à le faire, et à penser le récit avec du recul.

    Mais il n'est pas nécessairement là pour exprimer ce que je pense, même si, dans sa manière de parler de l'Homme et de l'amour, ses propos font résonner l'histoire. De l'amour, on ne peut en avoir que des idées. Je m'interroge en faisant ce film, je ne suis pas là pour exposer mes idées car j'ai justement du mal à en avoir (rires).

    Pyramide Distribution

    Malgré la première partie du titre, le film repose beaucoup sur les non-dits. Y a-t-il besoin de faire beaucoup d'ajustements à l'écriture, au tournage ou au montage pour parvenir à l'équilibre que nous voyons ?

    Ça c'est aussi le talent des comédiens. Leur grand talent. Dans les choses qu'on dit, il y a tout ce que l'on ne se dit pas. Et on voit des acteurs qui énoncent des choses pour se protéger, pour protéger l'autre. Ce sont donc eux qui doivent le donner à penser. Mais j'aime bien cette idée que le lieu du cinéma, c'est ce qu'on ne voit pas, ce qui est hors-champ, ce qui est caché derrière le regard des comédiens, ce qui est dans une ellipse.

    Et c'est là que le spectateur va pouvoir projeter sa propre intimité, créer les liens et faire de l'histoire son propre récit. Beaucoup de choses ne sont sciemment pas montrées, pour que chaque spectateur puisse faire son travail, son cheminement.

    D'où mon goût pour le plan-séquence avec beaucoup de circulation dans l'espace, pour ne pas être comme dans les téléfilms, en gros plan sur le visage du comédien, qui dit, sur-dit et où le regard en rajoute encore. Non, j'ai envie que le spectateur soit à la recherche de ce que pense et ressent le personnage, qu'il soit en activité.

    Et se questionne comme vous vous questionnez.

    Tout à fait. Car les personnages, on les écrit, mais je ne prétends pas tout savoir, tout connaître. Et ce qui est amusant, à la fin de la projection d'un film, c'est quand les spectateurs viennent nous en parler et que chacun a son idée. Et parfois des idées très différentes (rires).

    Mais chacun a mis son vécu, son intimité dedans, et a fait son film. On dit que, pour un film, il y a autant de films qu'il y a de spectateurs, car chacun se marie d'une façon différente avec lui.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 10 septembre 2020

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