Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait marque leurs premiers pas respectifs devant la caméra d'Emmanuel Mouret. A l'occasion de la sortie du film, décrit comme une "fresque sentimentale" par son auteur, Camélia Jordana, Niels Schneider et Vincent Macaigne évoquent chacun leur opus préféré de la filmographie du réalisateur et scénariste.
CAMÉLIA JORDANA
Mon préféré c'est Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait (elle éclate de rire) Mais, plus sérieusement, le film concentre tous les sujets, tous les types de relations, les thèmes, les pensées, les réflexions, les fantasmes et les projections, je crois, d'Emmanuel. Donc j'adore ce film. Et je ne saurais pas en isoler un autre, car c'est un ensemble. Ce qui est génial chez lui, c'est qu'il a un monde, un univers hyper singulier, que ce soit de la langue à la lumière, en passant par la manière de filmer. C'est une œuve globale pour moi.
Pour un acteur, la langue n'est pas le plus gros défi lorsque l'on tourne dans l'un de ses films. Il y a évidemment un vrai travail, mais c'est surtout une véritable partition. C'est du papier à musique, c'est millimétré, donc il faut vraiment être à la virgule près, à la micro-seconde près dans l'espace. Et comme il travaille avec des plans-séquences, il suffit qu'une virgule ne soit pas au bon endroit, la prise est à jeter et il faut tout recommencer. C'est ce qui demande le plus de travail mais fait aussi que l'équipe respire ensemble et que l'on parvient à saisir LA prise.
NIELS SCHNEIDER
J'avais beaucoup aimé Caprice, pour la fin notamment, que j'avais trouvée vraiment bouleversante. Et Mademoiselle de Joncquières, j'avais trouvé ça hyper beau. C'était plus mélancolique que ses films précédents, et la sophistication des dialogues les rendait plus incarnés pour moi. Un autre qui m'avait beaucoup plu et qui était en deux parties, c'est Fais-moi plaisir !, où Emmanuel joue un inventeur et se retrouve avec la fille du Président de la République. J'avais aimé ce côté burlesque.
Je trouve qu'il y a une continuité entre Mademoiselle de Joncquières et Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait. Dans le ton notamment, oui. Il y a au départ une accumulation de situations légères, comme si les choses n'avaient pas de conséquence. Il y a de la légèreté, mais pas de naïveté. Comme si rien n'allait avoir de prise, alors que les choses laissent finalement des cicatrices. Il y a des déceptions amoureuses, mais rien de désillusionné dans le cinéma d'Emmanuel. Mais il s'intéresse plus à l'après, qui fait aussi partie de l'amour. Il y a une beauté dans les regrets, les remords, les choses qu'on n'a pas vécues. Je trouve ça beau qu'il explore le sentiment amoureux dans ce qu'il a de plus douloureux.
VINCENT MACAIGNE
Moi c'est l'un de ses premiers films, qui est aussi le dernier que j'ai vu de lui : Vénus et Fleur. Je trouve que c'est un film assez bizarrement politique, que cette amitié entre une fille de bonne famille et une fille russe raconte aussi bien le désir amoureux qu'elle se présente comme un mini conflit social. Le film mélange quelque chose, il est très doux et charmant, et beaucoup plus profond qu'il ne le laisse paraître. J'étais touché de le voir, surtout que Guillaume Brac [qui l'a dirigé dans Un monde sans femmes et Tonnerre notamment, ndlr] m'en avait parlé. Mais ils ont des points communs un peu cachés, Emmanuel Mouret et lui.
Chez l'un comme chez l'autre, on est souvent dans des histoires, parfois amoureuses, qui paraissent simples. Mais si on creuse la simplicité amoureuse ou le sentiment, on découvre les personnages de manière très large, très profonde. Plus brutale aussi parfois que ce que laisse apparaître le film. C'est d'ailleurs ce qu'on voit dans le film. Emmanuel Mouret a beaucoup fait ça, mais Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait est plus tragique quelque part. Il y a une forme de mélancolie qui n'est pas ennuyeuse mais qui donne de l'ampleur à son film. Qui ouvre encore plus son cinéma. Ça commence comme un marivaudage et ça devient un vrai film sur l'amour, au sens large du terme. Très tendre aussi, sur la complexité de chaque personnage. Car cela devient grave, mais il y a quand même un peu d'humour. Ce sont des choses que l'on trouvait déjà dans Vénus et Fleur, mais qui sont ici plus amples, plus cinématographiques.