Jongler avec les contraintes du réel
Pour cette septième saison d'Engrenages, la réalisation, scindée en deux blocs de six épisodes, a été confiée à Frédéric Jardin (épisodes 1 à 6) et Jean-Philippe Amar (épisodes 7 à 12). Un tournage en banlieue parisienne fastidieux à mettre en place qui nécessite de nombreux repéreurs, dans une réalité de décors pratiques dans lesquels il est parfois impossible de tourner et où l'équipe doit s'adapter. La scénariste, Marine Francou, s'était rendue à la prison où ont été tournées les séquences du personnage de Joséphine (Audrey Fleurot) afin de mieux percevoir la réalité du lieu pour adapter l'écriture le cas échéant. "Il y a eu deux décors : la prison de Réau, à côté de Fontainebleau, qui est une prison moderne et où nous avons eu une autorisation exceptionnelle du ministère de la Justice pour tourner les intérieurs, et la prison de bois d'Arcy pour les extérieurs" explique Daniel Dubois, producteur de la série. Les contraintes pour tourner dans ces lieux : une équipe minimaliste et un temps de tournage réduit, pour des raisons de sécurité. "D'ailleurs, il y a eu l'évasion de Redoine Faïd entre deux sessions de tournages alors que nous devions retourner dans la prison, donc on a dû s'adapter !" Mais la notoriété de la série et sa description fidèle du milieu judiciaire français sont parfois favorables au bon déroulement des tournages : "c'est vrai qu'avec Engrenages, on arrive fort heureusement à pouvoir tourner dans certains lieux. Si vous vous souvenez de la séquence de la gare du Nord qu'on avait tournée dans la saison 6, on était en Vigipirate renforcé, mais on a eu une autorisation exceptionnelle parce qu'on s'était adaptées dans les contraintes du moment... C'est aussi très galvanisant, ce fonctionnement nous donne du challenge."
Mais certains endroits s'avèrent complexes à obtenir, que ce soit pour des raisons morales ou pratiques. Notamment lors de la saison précédente, qui abordait la corruption des maires et les camps de gitans. "Dans la saison 6", poursuit Daniel Dubois, "il y avait aussi un contexte assez tendu : pour une séquence d'émeutes on avait interrogé près de soixantes municipalités qui nous avaient toutes dit non, pour des questions de sécurité. On a finalement réussi à trouver un décor, une friche où on a pu reconstituer la rue qui correspondait à l'extérieur du commissariat d'Aubervilliers.On s'en sort toujours !" Dans cette saison, le centre de logistique chinois d'Aubervilliers servant de plaque tournante au réseau de blanchiment se trouve en réalité à Pantin. "En l'occurrence, c'est une reconstitution", révèle Frédéric Jardin. "Le vrai se trouve à Aubervilliers mais on n'a pas du tout eu la possibilité d'y tourner. Il y avait une réticente totale de la part des gens du centre et de la communauté chinoise " Daniel Dubois confirme : "On y est allés en repérages plusieurs fois, et en creusant un petit peu on sentait que ça allait être compliqué et par conséquent que ce n'était pas très accueillant comme environnement ! Nos repéreurs sont allés à Aubervilliers pour voir les décors, et ensuite pour essayer de trouver une famille de décors qui pourraient correspondre." En effet, le risque qu'une grande partie de la communauté chinoise du 93 se sente discriminée en étant associé au stéréotype du blanchiment d'argent était mais. Mais pour Marine Francou "on ne stigmatise personne, on décrit une réalité : certains Chinois, à Aubervilliers, qui pratiquent le blanchiment d'argent. On peut nommer ces choses-là sur Canal+, on en a l'habitude sur Engrenages." Mais le principal problème du décor, un grand microcosme fait de nombreuses boutiques détenues par différents syndicats, demeurait principalement opérationnel, selon le producteur : "quand bien même on y aurait raconté une autre histoire, on aurait pas pu y tourner pour des raisons logistiques."
Une saison plus lumineuse ?
Le tournage de douze épisodes d'une heure chacun représente un défi de taille pour l'équipe artistique. "On tourne pendant 7/8 mois environ pour Engrenages", explique le producteur. "Là on a fait deux blocs de six (épisodes, ndlr) avec des décors naturels qu'il faut maîtriser pendant plusieurs mois. Je me souviens qu'on a tourné sous la neige avec toi Frédéric [Jardin], et avec Jean-Philippe [Amar] sous la canicule. On fait un peu le grand écart, on démarre un tournage en hiver et on le finit à la fin de l'été. Jusqu'à présent on y est arrivés !" Sur la manière d'appréhender la mise en scène de cette saison, Frédéric Jardin (qui avait réalisé des épisodes des saisons 5 et 6) explique : "on fonctionne par décor, les six premiers épisodes correspondaient à quatorze semaines de tournage pour quatre mois de préparation. Le challenge résidait surtout dans le fait de se renouveler auprès des acteurs principaux, les récurrents, d'aller chercher l'intensité au maximum pour chacun d'entre eux, entre leur intimité et leur métier. Laure (Caroline Proust) est dans un état mental assez compliqué, car elle commence la saison en dépression, et en même temps elle a cette volonté de reprendre le travail et de se battre. C'était très nouveau pour elle comme pour nous d'illustrer cette volonté de se bagarrer tout en étant au bout du rouleau." Quant à Jean-Philippe Amar, réalisateur des épisodes 7 à 12, ce fut une première sur Engrenages, même s'il connaissait Marine Francou : "Ce qui était nouveau c'était que j'entrais dans une série existante, et qu'il fallait que je me fonde là-dedans tout en essayant de trouver un moyen d'exprimer les choses à ma façon." Une collaboration dès l'étape de l'écriture essentielle pour le réalisateur, aux côtés de la scénariste et de Vera Peltekian de Canal+, pour s'emparer du texte. La deuxième moitié de la saison, centrée sur les cols blancs, était très différente à explorer : "j'ai eu d'autres décors et d'autres voyous qui étaient moins dans l'ADN d'Engrenages; c'est la première fois qu'on pénètre vraiment chez les riches. Ce qui permettait aussi d'avoir des profils différents en matière de casting : que Cyril Lecomte incarne le grand méchant de cette saison notamment." Frédéric jardin précise : "tourner six épisodes, ça équivaut à trois longs-métrages de 2h ! On modifie pas mal de choses quand on tourne, et bien qu'on forme une famille en tant qu'équipe, parfois les acteurs récurrents veulent mettre leur grain de sel... C'est parfois assez chaotique !"
Tourner six épisodes, ça équivaut à trois longs-métrages de 2h !
Pour Frédéric Jardin, cette nouvelle saison marque une volonté de "dégriser la série", de mettre en lumière des aspects plus positifs des personnages. "C'est aussi une saison très parisienne, beaucoup plus que les autres, surtout dans sa première partie. Tourner dans le centre de Paris, c'est différent du Raincy, de Bagnolet, ou du centre d'Aubervilliers... Ça apporte une touche esthétique plus lumineuse à cette saison." Une saison de transition qui redistribue les cartes, après une fin de saison 6 traumatique. Certains personnages récurrents se retirent, des nouveaux visages entrent en scène. Pour Vera Peltekian, c'est de la pure grammaire télévisuelle qui se met en place, avec la double contrainte de la saison qui a précédé, et le besoin de renouvellement. "L'arrivée d'Ali correspond au départ de Tintin. La scène de crime d'introduction, c'est quasiment un exercice de style. Elles ont toutes été différentes au fil des saisons; la variation cette fois-ci, c'est que la nature de ce crime les concerne intimement. Ça, c'est totalement nouveau dans Engrenages. La vraie question de démarrage d'une saison c'est : qu'est-ce qu'on n'a pas encore fait dans la série, tout en restant fidèle à cette grammaire qui consiste en un crime de départ très puissant qui porte la série sur douze épisodes. Dans la saison 6, la victime était un flic, et le groupe se sentait menacé dans son corps, dans son identité; dans la saison 5 c'était une mère et son enfant, qui renvoyaient à la grossesse de Laure, ce qui crée aussi un lien intime entre le groupe et le crime de départ..." A chaque fois, il faut renouveler la nécessité de trouver une thématique et une arène différentes, mais ces contraintes sont productives et créatrices de récits. "La grammaire et l'histoire d'Engrenages nous imposent de nous renouveler à chaque saison, et c'est très propre à la télévision."
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