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    C'est la Palme d'Or 2024 : pourquoi allez-vous tomber sous le charme d'Anora ?
    Maximilien Pierrette
    Boulevard de la mort, Marie-Antoinette, Leto, Paterson ou Mademoiselle côté salles. Bill Murray & Tilda Swinton, Jodie Foster, Park Chan-wook, Eva Green, Joachim Trier ou, récemment, Adam Driver, côté interviews : certaines de ses plus belles séances et rencontres ont eu lieu sur la Croisette.

    Récompensé par la Palme d'Or en mai dernier, "Anora" sort enfin dans les salles françaises. Et le huitième long métrage réalisé par Sean Baker a tout pour vous séduire.

    Ça parle de quoi ?

    Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage...

    Anora
    Anora
    Sortie : 30 octobre 2024 | 2h 19min
    De Sean Baker
    Avec Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yura Borisov
    Presse
    4,2
    Spectateurs
    3,9
    Séances (63)

    Un amour de Palme

    Il est un peu moins de 20h, ce samedi 25 mai 2024, lorsque la vie et la carrière de Sean Baker basculent. Bien placé parmi les favoris depuis la présentation d'Anora quelques jours plus tôt, le réalisateur américain devient l'égal de Martin Scorsese, Terrence Malick, Gus van Sant ou Quentin Tarantino en remportant une Palme d'Or.

    Cinq mois après avoir séduit le jury de Greta Gerwig, le voici prêt à affronter le public, avec le statut qui est désormais le sien. Mais Anora a tout pour lui offrir un joli succès et faire mieux que les 167 914 spectateurs de The Florida Project, son plus gros score en France jusqu'ici.

    Une Palme grand public

    Un cliché persistant voudrait que la Palme d'Or ne soit remise qu'à des films "chiants". Austères. Radicaux. Qui sont davantage célébrés pour leur sujet que leur accessibilité. S'il est vrai que des lauréats comme Titane, The Square, Sans filtre, Oncle Boonmee ou Sous le soleil de Satan peuvent diviser, au-delà de leurs qualités respectives, cette vision est évidemment réductrice.

    Surtout que, entre Anatomie d'une chute, Une affaire de famille, Parasite ou Moi, Daniel Blake, bon nombre d'éditions récentes se sont achevées avec une Palme d'Or consensuelle. Dans le bon sens du terme, c'est-à-dire des films qui ont séduit le plus grand nombre, du jury aux critiques en passant par les festivaliers.

    Anora fait clairement partie de la seconde catégorie. Programmée en milieu d'après-midi, pendant la seconde moitié du 77ème Festival de Cannes, sa présentation a été un triomphe, générant des rires francs et des applaudissements nourris. Et il est difficile de pas s'attacher à cette relecture de Cendrillon (donc de Pretty Woman) qui dérive vers une histoire digne d'un épisode des Soprano dans sa seconde moitié.

    Le pacte

    Si la comédie a peu sa place en Compétition, on rit beaucoup devant Anora et son personnage principal. Avant d'être ému à l'issue d'un récit qui ne manque pas d'énergie et se révèle même euphorisant. Et accessible à toutes et tous, car l'histoire de cette strip-teaseuse, sous couvert de gratter le vernis du rêve américain, renvoie aux aspirations et aux doutes de chacun(e). Aux envies de changer de vie et aux moyens que l'on se donne pour le faire.

    Avec une héroïne immédiatement attachante, un personnage secondaire qui évolue de façon surprenante (comme le film lui-même) et une séquence centrale absolument démentielle.

    Mikey Madison, révélation flamboyante

    Vous l'avez peut-être aperçue dans Once Upon a Time... in Hollywood (aux côtés d'Austin Butler, Sydney Sweeney ou Margaret Qualley, signe que Quentin Tarantino avait eu le nez creux en matière de casting des adeptes de Charles Manson). Puis vue dans le cinquième Scream. Mais la vraie révélation de Mikey Madison, c'est aujourd'hui. Car la comédienne ne fait pas que crever l'écran : elle en fait des confettis et y met le feu ensuite.

    À tel point qu'un prix d'interprétation féminine est vite devenu le minimum auquel Anora pouvait prétendre, au palmarès du dernier Festival de Cannes, selon la presse et les festivaliers. Le film de Sean Baker a finalement décroché la récompense suprême, pour le plus grand bonheur de son comédienne principale, qui se souviendra de sa première venue en France et de son aboutissement, nouvelle étape d'un projet particulier jusqu'au bout pour elle.

    "C'est la première fois que je n'ai pas eu à auditionner pour un projet, j'en étais donc très heureuse", nous disait celle que Sean Baker a appelée au lendemain de sa séance de Scream, subjugué par sa prestation. "À partir de là, nous avons travaillé ensemble pendant un an avant le début du tournage, pour déterminer ce que nous voulions que le personnage et le film soient. J'ai souvent l'impression de jouer des personnages très différents de ce que je suis dans la vie. Mais Anora est la plus éloignée de moi parmi ceux que j'ai joués."

    Anora est le personnage le plus éloigné de moi parmi ceux que j'ai joués

    "Rien qu'en termes de physique et de voix, c'est vraiment très différent. Sa sensibilité et la façon dont elle se présente au monde diffèrent de tout ce que j'ai pu faire. J'ai eu l'impression de me pousser constamment hors de toutes les zones de confort que je pouvais avoir auparavant pour incarner ce personnage. Chaque jour, j'avais le sentiment de me mettre au défi d'une manière ou d'une autre pour être fidèle personnage, mais c'est aussi ce qui était excitant."

    Une performance totale pour celle qui est de quasi tous les plans du film, et qui est aussi passée par une intense phase de préparation : "J'ai lu beaucoup de livres et de mémoires de travailleurs du sexe. J'ai aussi parlé à de nombreux consultants qui vivent une vie similaire à celle d'Anora, et j'ai suivi une formation de danse pendant environ trois mois, juste pour ce petit coup d'éclat de vingt secondes à l'écran. Mais toutes les cascades et la danse, c'est moi, et je voulais que ce soit réaliste. C'est pourquoi j'ai travaillé si dur. J'ai également travaillé avec un professeur de dialecte, un professeur de russe." Investissement plus que payant, pour celle dont on parle désormais pour les Oscars.

    La consécration de Sean Baker

    Si vous faites partie de celles et ceux qui suivent son cinéma de près depuis 2015 et la sortie de Tangerine (ou bien The Florida Project, qui a été un peu plus exposé), vous deviez sans doute attendre Anora et seriez allés le voir même s'il n'avait pas eu la Palme d'Or. Mais pour beaucoup, ce film marquera la découverte du cinéma de Sean Baker. Et on conseille à ces spectateurs et spectatrices de se ruer sur ses opus précédents, notamment ceux visibles en salles pour la première fois depuis le 23 octobre, Starlet en tête.

    Car c'est avec ce long métrage sorti en 2012 que le réalisateur américain trouve son sujet de prédilection : les travailleurs du sexe. Que l'on retrouve avec les prostituées trans de Tangerine, l'acteur porno de Red Rocket et, dont, la strip-teaseuse d'Anora. Sans la moindre volonté de racolage, mais une envie de mettre en lumière des personnages marginaux, tant dans la société américaine que son cinéma grand public.

    Le pacte

    "Je voulais depuis longtemps raconter une histoire sur la communauté russe de Brighton Beach et de Coney Island", nous disait le réalisateur à Cannes, au lendemain de la présentation triomphale du film. "Avant même l'idée de suivre une travailleuse du sexe, c'était notre idée avec Karen Karagulian qui joue Toros [et apparaît dans tous ses films, ndlr] et a des liens avec ce monde puisque sa femme est russe. Je savais donc qu'il serait en mesure de m'ouvrir des portes, de me présenter des gens."

    "Nous avions la capacité de trouver une histoire ensemble, mais cela a pris beaucoup de temps. Et je suis tombé sur cette histoire de mariage impliquant la mafia. Au début, cela devait être un film de gangsters, mais je ne voulais pas vraiment en faire un, même si je voulais que son mariage implique de la richesse. Et c'est pendant une séance de brainstorming que nous avons pensé qu'elle pourrait épouse le fils d'un oligarque russe. Ce qui nous a fait rire, et réaliser que nous avions une bonne idée entre les mains."

    Au début, cela devait être un film de gangsters, mais je ne voulais pas vraiment en faire un

    C'est aussi de là que vient cette séquence centrale évoquée plus haut, qui emmène le film sur un autre terrain et rappelle que Sean Baker est passé maître dans l'art de jongler avec les tonalités. Comme Tangerine et sa relecture de Cendrillon avec une histoire de chaussure perdue, la fin de The Florida Project ou les séquences oniriques de Red Rocket, le réalisateur s'appuie sur des éléments de conte de fées pour dynamiter le rêve américain en revisitant Pretty Woman (donc, encore une fois, Cendrillon). À sa manière.

    Son huitième long métrage est tour à tour drôle, sexy, énergique, euphorisant, émouvant. Tout en étant à la fois réaliste et stylisé. Et grand public. Et porté par une actrice en état de grâce. Nouveau chef de file du cinéma indépendant américain jusqu'ici, Sean Baker va donc passer dans une autre sphère grâce à cette Palme d'Or qui, comme il nous l'a promis à son retour en France en septembre, ne l'empêchera pas de continuer à faire ce qu'il fait déjà.

    Il voit plutôt dans cette récompense une validation et une reconnaissance de son travail. Qui intervient alors qu'il nous présente son meilleur film à ce jour (et l'un des sommets de l'année cinéma), preuve que la vie est parfois bien faite. Et qu'elle pourrait être encore plus belle si vous réservez à Anora le succès qu'il mérite amplement.

    Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 22 mai 2024

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