Avec C’est arrivé près de chez vous, Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde nous livrent une comédie noire saisissante qui oscille entre le rire nerveux et le malaise profond. Ce faux documentaire belge a su marquer l’histoire du cinéma avec son ton audacieux et sa critique acerbe des médias, tout en offrant une réflexion sur la violence et la moralité. Bien que le film ne soit pas exempt de faiblesses, il s’impose comme une expérience cinématographique aussi troublante qu’inoubliable.
L’idée de suivre un tueur en série charismatique, Ben, dans son quotidien meurtrier tout en étant filmé par une équipe de tournage complice, est une métaphore glaçante sur notre fascination pour le morbide. À travers cette configuration, le film interroge notre rôle en tant que spectateurs passifs face à la violence, mais aussi la responsabilité des médias dans la glorification du mal.
Ben, interprété avec une intensité inquiétante par Benoît Poelvoorde, se présente comme un individu banal, presque sympathique, ce qui renforce l’horreur de ses actes. Il parle de meurtres comme d’une routine, tout en dévoilant une philosophie de vie tordue. Cette normalisation de l’atrocité devient le cœur de la critique du film, exposant la manière dont la violence est absorbée, justifiée, et même banalisée dans notre société.
Poelvoorde, dans un rôle de composition stupéfiant, incarne Ben avec une aisance déconcertante. Son personnage passe sans effort du charmeur à l’assassin, révélant une profondeur psychologique qui rend ses actes encore plus terrifiants. Son mélange d’intelligence, d’humour et de brutalité donne vie à un personnage complexe, aussi fascinant que répugnant.
Le contraste entre son apparente normalité et ses actes monstrueux est le moteur du film. Poelvoorde capte parfaitement ce double jeu, nous forçant à être captivés par un personnage que nous devrions détester.
Le style documentaire du film, avec sa caméra tremblante et ses dialogues improvisés, crée une immersion totale. Ce choix stylistique donne une authenticité troublante au récit, plongeant le spectateur dans une réalité crue et brutale. Le noir et blanc granuleux ajoute une touche intemporelle et souligne le caractère sordide de l’histoire.
Toutefois, ce réalisme exacerbé peut parfois desservir le rythme du film. Certaines scènes semblent s’étirer ou manquer de structure, ce qui affaiblit l’impact de l’ensemble. Pourtant, ce minimalisme visuel, bien qu’imparfait, renforce le sentiment de malaise et colle parfaitement à l’atmosphère du film.
Le véritable génie de C’est arrivé près de chez vous réside dans sa capacité à mêler satire sociale et violence graphique. L’équipe de tournage, d’abord témoin passif, devient progressivement complice des meurtres, symbolisant la manière dont les médias alimentent et exploitent la violence pour le divertissement.
Cette complicité croissante de l’équipe de tournage est une allégorie cinglante sur la responsabilité collective. Les réalisateurs ne se contentent pas de pointer du doigt les criminels : ils interrogent aussi les spectateurs sur leur propre fascination pour l’horreur.
L’humour noir est omniprésent et souvent choquant. Les dialogues pleins d’esprit et les situations absurdes créent un décalage qui amplifie l’horreur des actes. Les scènes où Ben explique froidement ses techniques meurtrières ou interagit avec sa famille banale sont à la fois hilarantes et profondément troublantes.
Cependant, cet humour ne fait jamais oublier la gravité des événements. Il agit comme un outil pour intensifier le malaise, forçant le spectateur à rire tout en se sentant complice de l’atrocité.
Le film se termine dans une explosion de violence, offrant une conclusion brutale à cette spirale de chaos. Les derniers instants, où Ben et l’équipe de tournage sont confrontés aux conséquences inévitables de leurs actions, laissent un goût amer, rappelant que la violence appelle toujours une rétribution.
C’est arrivé près de chez vous est une œuvre unique, une satire brutale et intelligente qui interroge nos valeurs morales et notre obsession pour la violence médiatisée. Bien que le film souffre d’un rythme parfois inégal et d’un minimalisme qui peut sembler trop brut, il reste une expérience puissante et dérangeante.
Le trio de réalisateurs a réussi à transformer une idée audacieuse en une critique sociale percutante, tout en offrant une performance mémorable de Benoît Poelvoorde. Si le film n’atteint pas les sommets d’une perfection narrative, son impact émotionnel et sa réflexion sur la condition humaine sont indéniables.