Voilà maintenant près de 50 ans que Jacques Demy a fait rêver le monde entier avec le mélancolique mais magnifique "Parapluies de Cherbourg" et surtout avec "Les demoiselles de Rochefort", réunissant plus d'1,3 million d'entrées en France en 1967. L'âge d'or du cinéma français, l'époque ou rien n'était commercial, ou tout était fait avec passion et inspiration, une époque qui manque beaucoup à de nombreux cinéphiles !
Rien qu'à l'époque, il suffisait d'une petite histoire comme celle-ci pour faire ressortir des milliers de français de la salle une joie et un plaisir dont personne n'a du cacher. Cette histoire se déroulant en 4 jours (d'un vendredi à un lundi), c'est celle de Delphine et Solange, deux soeurs jumelles ("nées sous le signe des gémeaux", qui ne connait pas cet hymne à la joie d'être frère et soeur?) sympathiques et spirituelles ne vivant que pour leur bonheur, celui de danser et de chanter. Leur métier, c'est donner des cours de solfège et de danse. Mais elles sont surtout à la recherche de l'Homme de leur vie, qu'elles ne connaissent pourtant pas... Deux forains donnent lieu une fête un dimanche et c'est à ce moment que le destin de plusieurs personnages vont se croiser. Peut-on parler d'une intrigue? Oui, parce que ce n'est pas une histoire d'amour banale, elle est entremêlée par plusieurs petites sous-intrigues, dont
une courte histoire de meurtre par le seul véritable méchant du film, Subtil Dutrouz, ainsi que par des découvertes de secrets de famille (que Boubou est le vrai fils de Simon Dame, que l'ancienne femme de celui-ci habitant finalement à deux pas de chez lui)
ou même des mystères non dévoilés sur les personnages et leurs origines (notamment le fait qu'on ne sache pas qui et ou est le père des jumelles), qui ne sont pas sans rappeler ceux des "Parapluies de Cherbourg": en effet, dans ce film aussi, l'héroïne est élevée seule par sa mère, sans que l'on sache qui est réellement son père. A la différence, c'est qu'on en apprend un peu sur le passé des jumelles, contrairement à Geneviève des Parapluies. La question dont tout le monde qui ne connait pas ou n'aime pas ce film se pose: "Pourquoi plait-il?". D'abord, parce que l'écriture du film est impeccable (malgré quelques faux-raccords, notamment lors de la scène de la chanson de Simon:
ce dernier raconte à Solange que sa femme avait des jumelles qui vivaient en pension, et Solange ne pense même pas à se reconnaître?),
chaque scène a son importance par la suite, les scènes musicales servent en priorité à présenter chaque personnage (du coup c'est grâce à ça qu'on en sait un peu plus sur eux). Toutes, non, "Marins amis amants ou maris", "Toujours jamais" et "Chanson d'un jour d'été" par exemple sont là pour que les personnages expriment leur bonheur ou leur mécontentement, et c'est juste sublime. Tel la première fusée allant sur la lune la même année 1967, le spectateur plonge dans un univers coloré (des couleurs bien chaudes bien-sûr, et non les couleurs sombres de la sinistre dernière partie des Parapluies) qui est un véritable délice pour les yeux remplis étoiles de nous, spectateurs. Tout dans ce film respire un bonheur, un entrain, une joie de vivre inégalés au cinéma (l'un des rares à le faire aussi bien d'ailleurs). Même les Parapluies, chef d'oeuvre de même qualité mais pas pour les mêmes buts, comportant un bon nombre de moments ou la tristesse de l'histoire et du destin des personnages va à l'encontre de la vivacité de l'image. Ici, il n'y a pas du tout cette tension. Les couleurs, la beauté des costumes, des décors et des musiques sautent de l'écran et volent droit vers les centres du plaisir du cerveau ; ce bonheur arrive en crescendo dès le début et ne nous lâche plus (même à la fin la musique n'arrive pas à s'arrêter alors que le générique est fini). La distribution du casting est géniale et remplie de grandes stars de l'époque: Catherine Deneuve qui retrouve le duo Demy/Legrand après les Parapluies ; la malheureusement décédée Françoise Dorléac qui fut la soeur de Deneuve dans la vraie vie et qui mourut d'un accident de route pour assister à l'avant-première de ce film un an après le tournage ; Danielle Darrieux dont je n'ai pas besoin de présenter, cent ans bientôt et encore toutes ses dents ; Michel Piccoli toujours debout et 90 ans ; Jacques Perrin qui retrouvera Deneuve/Demy trois ans plus tard dans "Peau d'âne" ; et trois américains, Gene Kelly très célèbre pour "Chantons sous la pluie" et "Un américain à Paris", George Chakiris célèbre meneur des Sharks de "West Side Story" ainsi que le peu connu Grover Dale qui interprète avec Chakiris l'hilarant duo des forains. Le petit qui inteprète Boubou me fait mourir de rire à chaque fois (que devient son jeune acteur?), chacune de ses répliques est culte ("Ta robe a encore craquée", "C'est pas ma tante c'est ma frangine!") et le film en contient bon nombre d'autres. Bonheur à regarder, couleurs et chansons inoubliables, répliques cultes, distribution de malade, histoire simple mais géniale et féminine: ai-je autre chose à ajouter pour dire à quel point ce film est bien? L'un des films à avoir dans sa DVDthèque, le mien je le conserve avec celui des Parapluies et je le regarde très régulièrement, c'est un régal à chaque fois, un véritable bonbon visuel. Un chef d'oeuvre.