De la même façon que les américains se sont inspirés de nos cabarets, les français tentent de leur rendre la pareille en matière de comédie musicale, avec Jacques Demy en fer de lance, ce dernier revenant trois ans après "Les parapluies de Cherbourg", déjà avec Catherine Deneuve. Sans atteindre la qualité et surtout le rêve des comédies musicales hollywoodiennes du genre (entre autres) "Chantons sous la pluie", "Les demoiselles de Rochefort" n’est pas désagréable à regarder. Loin de là même, bien que le spectateur du XXIème siècle puisse être rebuté par les couleurs vives. C’est vrai, le moins qu’on puisse dire, c’est que cette comédie musicale est très colorée, au point de paraître totalement kitch. Cependant, s’il est attentif, il pourra mesurer à quel point le cinéaste s’est appliqué dans le choix des couleurs, notamment au niveau des binômes pour lesquels l’un va apparaître tout en contraste par rapport à l’autre bien que les compères soient dotés d’une psychologie similaire. Disons alors que c’est un hommage à une décennie haute en couleurs comme si Demy pressentait que les années 80 approchantes allaient tout changer. Ou alors disons que pour chanter l’amour, il n’avait d’autres choix que de mettre de la couleur. Après tout, quand on aime, on voit la vie en rose, non ? Dans tous les cas, le choix est assumé. Au jour d’aujourd’hui, il peut paraître choquant de voir toutes ces couleurs vives, du fait que ça saute tout de suite aux yeux. Mais une fois accommodé, le spectateur pourra s’amuser à repérer jusqu’à quel point le cinéaste a joué avec ces couleurs. Pour exemple, il remarquera que lorsque l’une des deux jumelles est habillée en jaune alors que l’autre est vêtue de rose, celle qui est en jaune a un sac rose tandis que sa frangine a un sac jaune. Mais résumer la qualité de la mise en images aux seules couleurs serait assez réducteur. Jacques Demy nous régale de quelques excellents plans séquences : il a le don et la manière de passer d’un personnage à un autre sans aucune césure ! Il en ressort un côté festif, pour laquelle on ressent un esprit très participatif de tous, jusqu’aux simples figurants. Le rendu est là : en marge de la kermesse en passe d’être donnée sur la grande place de Rochefort, l’impression de fête de "Les demoiselles de Rochefort" est bien là. Ainsi, à l’image des deux frangines, la chanson principale va rester durablement en tête, et peut-être même que le spectateur se surprendra à la fredonner après avoir vu le film. Cependant ce n’est pas le morceau musical que je préfère : j’ai une large préférence pour le thème du concerto, écrit spécialement pour cette comédie musicale, et pour lequel on ressent une grosse inspiration du côté du grand maître Schumann. Dans tous les cas, pour moi qui viens tout juste de découvrir cette comédie musicale, j’ai l’impression d’avoir déjà entendu cette partition quelque part… un peu à l’image de Michel Piccoli qui semble souffrir déjà d’une mémoire défaillante (rires !). A la différence près que je me demande si cet air n’a pas été utilisé quelques années plus tard à l’occasion d’un autre film, avec Bébel. Allez savoir pourquoi Belmondo. J’ai beau chercher, je ne trouve pas. Ou alors je confonds. Oui, je dois confondre. Bref ! Là n’est pas le sujet. Le fait est que ce concerto supplante peu à peu la chanson du début en thème principal. L’autre morceau que j’apprécie particulièrement, c’est la chanson de Maxence (Jacques Perrin, que je n’avais pas reconnu !). Il y chante l’amour. Pardon ! l’idéal féminin, que le personnage a immortalisé sur une toile. Et c’est là l’autre point fort de cette comédie musicale : c’est d’avoir su chanter l’amour durant deux heures sans que ce soit pénible de gnangnantise. Pire, on y apprend que l’amour, le vrai, triomphe de tout. La preuve nous en sera donnée par ces coups de foudre, ou par les retrouvailles de ces amours perdus. Il en ressort un propos frais, léger, et ma foi cela fait du bien. Je dirais même mieux : "Les demoiselles de Rochefort" se mange comme un bonbon acidulé, comme une sucette à la couleur rose bonbon telles qu’elles se faisaient à l’époque. Aaaah que ça rappelle des vieux souvenirs gustatifs et visuels ! Doté d’une distribution prestigieuse, "Les demoiselles de Rochefort" n’arrive cependant pas encore au niveau des plus célèbres comédies musicales US, car les chorégraphies font en comparaison presque trop sages, faisant ainsi revêtir à ce long métrage cinquante ans après un aspect un peu vieillot. Certes on plane avec une satisfaction bienfaisante devant des destinées qui nous font tomber plus ou moins sous le charme (en particulier du côté de Danielle Darrieux), mais tout cela manque tout de même d’un peu de rythme de par le manque d’audace dans les danses. En ce sens, heureusement que Gene Kelly, tout de suite reconnaissable par ses pas qui l’ont rendu célèbre est là pour redonner un peu de peps aux chorégraphies, au cours desquelles il nous gratifiera d’un numéro de claquettes. Eh oui, la présence du grand spécialiste de la comédie musicale outre-Atlantique est la bienvenue, sans compter qu’il a un très bon jeu d’acteur. Mais c’est indéniablement un film à découvrir, ou à redécouvrir si vous voulez vous adonner à un brin de nostalgie.