Dans l'arène cinématographique des épopées historiques, "Troie" de Wolfgang Petersen occupe une place singulière, à la fois monumentale et paradoxalement inachevée. Ce récit, inspiré des récits homériques immortels, déploie un tableau de bravoure, de passion et de tragédie avec une ambition qui force le respect, tout en trébuchant sur les pierres d'achoppement de son propre héritage épique.
La force visuelle du film est incontestable. Petersen, avec son directeur de la photographie Roger Pratt, peint chaque scène avec une palette qui capture la majesté brûlante du monde antique. Les scènes de bataille, en particulier, sont des symphonies de chaos orchestrées avec une précision presque chirurgicale, où le fracas de l'acier et l'ardeur des combattants s'entremêlent dans une danse mortelle. Le design du fameux Cheval de Troie, un prodige de l'ingénierie narrative et visuelle, demeure une réalisation inoubliable.
Pourtant, dans ce déferlement de splendeur visuelle et de prouesses techniques, "Troie" s'égare souvent dans un labyrinthe d'émotions superficielles et de personnages peu développés. La tentative de rendre ces figures mythiques accessibles au public contemporain a parfois pour effet de les priver de leur profondeur légendaire. Brad Pitt, en Achille, livre une performance physique impressionnante, mais le script ne lui offre pas l'occasion de sonder pleinement les abîmes de son personnage complexe. De même, le triangle amoureux entre Pâris, Hélène et Ménélas peine à capturer l'étincelle divine qui, dans le récit original, embrase la guerre la plus célèbre de l'antiquité.
La musique de James Horner, bien que captivante, souligne parfois de manière trop appuyée les moments clés, privant le spectateur de l'opportunité de naviguer ses propres émotions. Cette bande sonore, bien que riche et envoûtante, semble par moments entrer en compétition avec l'histoire elle-même, comme pour combler les vides émotionnels laissés par le scénario.
La liberté créative prise avec les sources matérielles - un choix tant critiqué que célébré - permet certes de tisser un récit plus linéaire et accessible, mais elle se fait au prix de l'essence même de l'épopée, où les caprices des dieux et les destinées entremêlées offrent une richesse narrative inégalée. En délaissant ces aspects, le film perd une partie de sa capacité à évoquer l'émerveillement et la réflexion profonde sur le destin, l'honneur et la mortalité.
En définitive, "Troie" est une œuvre de contrastes, une fresque épique où la grandeur visuelle et l'ambition se heurtent à une exécution narrative par moments insatisfaisante. Ce n'est ni une victoire écrasante, ni une défaite lamentable, mais un combat acharné pour immortaliser une légende, avec des réussites indéniables et des échecs non négligeables. Comme Achille lui-même, "Troie" est une figure héroïque aux talons d'argile, magnifique dans sa force, mais marquée par des vulnérabilités qui lui sont propres.