Persona : une théorie de Jung qui consiste à sonder l'inconscient; le masque porté par les acteurs dans le théâtre antique. Ces deux définitions - et par conséquent le titre - annoncent parfaitement ce qu'est le film : un parcours psychanalytique complexe qui réfléchit sur les questions de la faute et du mensonge, de l'être et du paraître, des questionnements sérieux qui nécessitent une attention scrupuleuse de la part du spectateur, afin de tenter de percer quelques-uns des mystères de "Persona". Car si le film est très bavard et délivre les secrets refoulés des deux femmes (le récit de la plage pour l'infirmière; le fils rejeté pour l'actrice), il est aussi fait de zones obscures fascinantes et complexes, plaquées sur le problème de la dualité et de l'identité : si Alma et Elizabeth sont d'abord bien distinctes, comment expliquer leur rapprochement soudain et ce plan qui unit une face de leurs deux visages en un seul ? Vampirisme de l'actrice perverse sur une infirmière qui s'est trop dévoilée, perdition mentale de deux femmes qui ne savent plus qui elles sont ou bien encore mise en scène onirique du cinéaste qui brouille les pistes dans des séquences à la véracité remise en cause ? Les interprétations sont multiples, appuyées de nouveau par la densité sémantique du titre car "Persona", c'est aussi la fausse identité, autrement dit le personnage qui s'annule, qui devient "personne" : Gilles Deleuze avait d'ailleurs dit que le fort usage du gros plan - très souvent employé dans le film - "participe d'une dissolution du personnage" car, en ne voyant plus que le visage, le personnage s'efface à l'instar de toute forme de singularité. Ces questions qui tournent autour du contrôle et de l'acceptation de soi sont universelles, elles nous hantent chaque jour et c'est pour cela que le film est obsédant, parce que le jeu de miroir entre Alma et Elizabeth est aussi le nôtre avec la société, avec ceux qui nous entourent au quotidien. Aussi fort que puisse être le contenu du film, il n'aurait sans doute pas eu la même portée sans une mise en scène aussi radicale et moderne, comme ce prologue kaléidoscopique, apparemment tiré d'un cauchemar de Bergman, qui annonce de façon très abstraite la voie que suivra le film et qui assume une révolution cinématographique, avec notamment ce plan d'un projecteur en route (symbole d'un nouveau cinéma ?) et l'image d'un enfant qui touche le visage d'une femme projeté sur l'écran, représentation d'un cinéaste dont le désir de mettre en forme ses obsessions est criant et sur le point d'inventer un nouveau langage pour le septième Art, fragmentant l'image et rejouant la même scène afin de mieux servir son propos, tortueux mais passionnant. "Persona" est un film hautement réflexif qui réclame une grande patience et qui, si on accepte la force de sa proposition, nous entraîne vers des sommets insoupçonnés, aux côtés des magnifiques et sensuelles Bibi Andersson et Liv Ullmann, un couple éternel pour un film magistral, l'un des plus beaux que j'ai pu voir à ce jour.