« L’inspecteur Harry » est la quatrième collaboration de Clint Eastwood avec Don Siegel qu’il considère comme son maître, celui qui lui a mis le pied à l’étrier pour sa carrière de réalisateur dont on peut dire cinquante plus tard qu’elle a été fructueuse et même prestigieuse à certains égards. En 1971, Eastwood est encore catalogué comme un acteur de western. Après son retour d’Italie il a joué dans « Pendez-les haut et court » de Ted Post puis dans « Sierra Torride » de Don Siegel. Les deux fois, « l’homme sans nom » de la trilogie des dollars de Sergio Leone n’est jamais très loin. Don Siegel lui connaît parfaitement le genre policier. « Dirty Harry » qui était prévu initialement pour John Wayne, Steve McQueen, Paul Newman ou Frank Sinatra tous plus rodés au genre policier, devait être réalisé par Irvin Kershner. Mais Eastwood qui s’intéresse au projet convainc la Warner d’entrer dans le jeu et impose Don Siegel à ses côtés. Les deux hommes qui n’avaient pour but que de proposer un simple divertissement,
vont sans le savoir déclencher une polémique liée à la violence du film et au caractère raciste et clairement porté sur une justice expéditive de l’inspecteur Harry Callahan, interprété par un Clint Eastwood qui ne s’attendait pas à une telle volée de bois vert. La ville de San Francisco préférée à New York et à Seattle un temps envisagées, affiche un visage très loin du point de rencontre de tous les hippies du monde entier qui définit alors la ville. Meurtres, trafics de drogue, racket, vols à la tir et viols sont le quotidien des flics de San Francisco
qui ont parfois l’impression de vider la mer, armés d’un seau. Les politiques locaux semblent s’en accommoder, s’abritant derrière l’état de droit, rempart ultime contre l’inefficacité. Harry Callahan, flic revenu de tout et sans attache après avoir perdu sa femme fauchée par un chauffard, tente de trouver un exutoire en usant de méthodes plus que musclées qui embarrassent salement sa hiérarchie bien obligée de lui reconnaître des résultats probants. Le scénario de facture classique dépeint en entame à l'aide de scènes plutôt convenues, le personnage et le contexte dans lequel évolue le flic solitaire. « Dirty Harry " porte sacrément bien son surnom dans l’ambiance de l’époque qui sort à peine du rêve des sixties enchantées. Le réveil s’annonce brutal. Les Beatles se sont séparés, le 9 août 1969, Charles Manson et ses séides ont semé la terreur dans le quartier chic de Cielo Drive, assassinant au passage Sharon Tate la femme de Roman Polanski enceinte, enfin le conflit vietnamien n’en finit pas de s’enliser avec en sus le retour au pays mal vécu par des GI’S ne sachant pas vraiment pourquoi ils ont été envoyés en Extrême Orient sacrifier leur jeunesse et parfois leur vie. Quand un tueur psychopathe se nommant « Le Scorpion » rejoue l’attentat de Dallas sur les toits des buildings de la cité inondée de soleil, sa gueule d’ange (Andrew Robinson) choisie à dessein par Siegel ne va pas contribuer à atténuer la méprise qui enfle. Une critique scandalisée avec à sa tête l’impitoyable Pauline Kael, grande prêtresse du Nouvel Hollywood qui n’a pas de mots assez durs contre le réalisateur et son acteur, accusés de faire par extension le lit de l’auto-défense en se cachant derrière un flic violent et parfois sadique. Clint Eastwood venait de se voir coller dans le dos une étiquette de réactionnaire comme John Wayne avant lui qui s’atténuera certes avec le temps mais ressortira des tiroirs dès le premier pas de travers, notamment lors de la sortie de « Grand Torino » en 2009. Cinquante après la sortie de "Dirty Harry", on peut tout d’abord constater que le film s’il est assurément une dénonciation plutôt bien vue de l’impéritie des autorités, y oppose à travers le personnage de Callahan une solution qui à tout le moins méritait les réserves d’une certaine critique progressiste et humaniste. Eastwood et Siegel s’ils n’étaient pas des adeptes de la loi du talion, auraient sans doute dû introduire dans le scénario quelques indices l’indiquant clairement. Pour le reste si Clint Eastwood est toujours aussi impressionnant de flegme et de froide détermination, le film montre aujourd’hui ses limites scénaristiques liées à l’improbabilité totale du duel que se livrent Callahan et le Scorpion. « A bout portant » (1964) ou encore « Tuez Charley Varrick » (1973) seront donc à privilégier pour apprécier la maîtrise du genre policier de Don Siegel. Quant à Clint Eastwood, sa filmographie offre elle aussi plus de nuances et de profondeur de réflexion, vue dans son ensemble.