À la fin des années 60, les États-Unis vivent sous la peur du tueur du Zodiaque. En 1971, ce tueur en série n’étant pas arrêté (on en ignore encore d’ailleurs l’identité de nos jours), ce traumatisme est donc encore vivace et inspire un film : L’inspecteur Harry. Cette cinquième collaboration entre Don Siegel et Clint Eastwood (après Un shérif à New York, Sierra torride, Les Proies et Un frisson dans la nuit où cette fois c’est Eastwood qui réalise et où Siegel n'est qu’un simple acteur) est de nos jours surtout connu pour avoir donné naissance à un des personnages les plus connus du cinéma : l’inspecteur Harry Callahan.
Si aujourd’hui ce film est reconnu comme un excellent film policier, il ne faut pas oublier qu’il était à l’époque considéré par beaucoup comme fasciste. En effet, en cette époque où la contre-culture et le mouvement hippie battait son plein, le film de Don Siegel ne pouvait que susciter la critique dès ses premiers plans puisque ceux-ci se concentre sur une plaque commémorant les policiers morts en service. De plus, son héros est un policier n’hésitant pas à faire usage de son arme à feu et à utiliser des propos misanthropes et racistes.
Toutefois, cette vision du personnage et du film est très réductrice voire complètement fausse. En effet, Harry n’aime pas spécialement la violence
: il ne veut pas de nouveaux coéquipiers de peur que ceux-ci soient blessés ou tués, il n’intervient dans le braquage que parce que celui-ci se déroule avant l’arrivée des renforts et préférerait finir tranquillement son sandwich et laisser ce sale boulot à ses collègues (son surnom de Dirty Harry étant à un moment expliqué par le fait que celui-ci lui est toujours attribué), il sait pertinemment qu’il ne reste aucune balle dans son barillet quand il met en joue le braqueur mais joue sur la dissuasion…
De plus, l’accusation de racisme est totalement disproportionnée. Si Callahan tient des propos racistes, c’est plus par plaisir de provoquer qu’autre chose. En effet, il souhaite en réalité protéger son collègue mexicain et l’approuve quand celui-ci choisit de quitter le terrain, il entretient une relation amicale avec le médecin noir de la Police et il est affecté quand le petit garçon noir est assassiné par Scorpio (le tueur en série inspiré par le Zodiaque évoqué plus haut) laissant une mère en pleurs… Les attitudes réellement racistes sont surtout attribuées à Scorpio
(dans sa lettre de chantage, il utilise le mot "nègre" ; il cherche à s’attaquer à un homosexuel noir et est bel et bien l’assassin du petit enfant noir…). Au final, les seuls criminels noirs sont ceux de la séquence du braquage (celle-ci étant extrêmement marquante a peut-être au final pâti de sa réussite) et l’homme embauché par Scorpio pour le frapper.
Accuser le film de racisme est donc très réducteur puisqu’il montre au final plus de noirs victimes ou étant du bon côté de la loi (certains policiers). Il fait par contre preuve d'ambiguïté en montrant que parfois les droits de l’accusé peuvent avoir des limites
(si Harry torture Scorpio, c’est uniquement dans le but de savoir où est enfermée la jeune fille enlevée ; cette torture allant à l’encontre de la loi pousse à la libération d’un tueur dont on sait parfaitement qu’il récidivera et qu’il est coupable…)
. Derrière une façade de cynisme (qui sert peut-être surtout de protection), Harry n’utilise au final la violence que lorsqu’il n’y a aucun autre recours
(il aurait tué Scorpio dès la séquence du stade sinon)
et est surtout écœuré par l’absence de justice (ce qui explique son agressivité devant une hiérarchie n’osant pas affronter la dureté de la réalité en face). Il est ainsi beaucoup plus humain que sa caricature voudrait le laisser croire
: il semble ne se consacrer qu’à son travail suite au décès de sa femme causé par un ivrogne ; il oublie quelques secondes sa surveillance de Scorpio en voyant une femme nue ; il reconnait ne pas savoir pourquoi il continue à être policier ; il est jette son badge dans la mer après avoir tué Scorpio comme s’il était dégoutté par son métier…
Tout en étant un film beaucoup plus subtil que l’image qu’il possède, L’Inspecteur Harry n’oublie pas d’être un excellent film policier et d’action. La mise en scène de Siegel est d’une sobriété privilégiant l’efficacité à l’effet de style (Eastwood cinéaste semble d’ailleurs avoir été beaucoup plus influencé par Siegel que par Sergio Leone sur cet aspect). Toutefois, on peut noter que cette sobriété n’empêche pas quelques clins comme cette présence sur un mur (étrangement jamais évoqué par les critiques) d’un tag où est écrit KYLE (Kyle Eastwood étant né 3 ans auparavant) ou le cinéma affichant Play Misty for me, le premier film d’Eastwood en tant que réalisateur tourné juste avant et dans lequel Don Siegel tenait un petit rôle. À propos de réalisation, on peut souligner que la séquence de la tentative de suicide a été dirigée par Eastwood lui-même pour remplacer un Don Siegel malade. L’interprétation, quant à elle, est tout à fait convaincante avec un Andy Robinson ayant trouvé le rôle de sa vie avec le psychopathe Scorpio et surtout un Clint Eastwood prolongeant son personnage d’héros d’action cynique et qui est tellement convaincant dans ce rôle qu’il mettra des années à prouver qu’il ne doit être réduit à celui-ci.
Ainsi, L’Inspecteur Harry, accompagné par l’excellente musique de Lalo Schifrin, est donc très loin de l’image que ses détracteurs de l’époque, obnubilé par l’idéologie politique, ont bien voulu lui donner et se révèle donc un des films policiers les plus marquants des années 1970 et même du genre tout coup. Un petit chef-d’œuvre d’efficacité dans son genre.