Un film qui n'a connu le succès ni ne possède la réputation qui lui revient de droit, car il s'agit ici encore d'une pièce maîtresse de Spielberg. Le réalisateur surdoué adapte pour ce film une nouvelle éponyme d'un certain Philip K. Dick (que je n'ai pas lue). Plus de vingt ans plus tôt, Ridley Scott avait porté à l'écran un roman du même auteur, et cela avait donné Blade Runner. J'en garde un souvenir assez moyen pour diverses raisons; cependant je reconnais que l'on peut louer le film de Scott sur un point: son ambiance; une atmosphère sombre et instable, étouffante et ambigüe, résultant d'une vision pessimiste et pourtant lucide d'un futur décadant et d'une humanité déchéante. On retrouve cette même ambiance dans le film de Spielberg, et c'est l'un de ses gros atouts; et Minority Report, contrairement à Blade Runner, possède toute une palette de gros atouts. Spielberg est parvenu à créer un monde futuriste proche (2054), de manière crédible: des dizaines de spécialistes dans tous les domaines ont été consultés afin de pouvoir imaginer un futur de manière la plus réaliste possible; Minority Report se veut réaliste, et c'est peut être ce réalisme formel qui le rend si fascinant, car on élément apporte à cet univers futuriste une dimension fantastique qui envahit peu à peu le film: les Précogs; c'est sans doute à Philip K. Dick que doivent revenir les lauriers d'une si prodigieuse invention: trois êtres au don prophétique, qui sont capables de voire les futurs meurtres, ainsi que les meurtriers et les victimes en devenir. Ces visions sont mises au sevice d'une unité de police: Pre-Crime, qui parvient à faire échouer grâce à elles toutes tentatives de meurtre. C'est sans doute la fusion entre réalisme et fantastique, entre ce futur proche et les visions extraordinaires de ces Précogs, qui créent cette atmosphère unique dont j'ai parlé plus haut. La mise en scène de Spielberg est à l'image du film: sombre, jouant beaucoup sur les contrastes entre ombre et lumière, filmant de manière réaliste des décors grandioses. et se faisant plus onirique pour les scènes fantastiques. John Williams complète le tout avec une atmosphère musicale inégale, mais par moment inoubliable: je pense à cette voix féminine qui teinte le film de mystère et d'angoisse. Le scénario exploite au maximum ces excellentes bases, sublime cet univers fascinant en un suspense extraordinaire. Prenant dès le départ, le film devient, à mesure que les images défilent, de plus en plus poignant et mystérieux. Les rebondissements sont incessants, et il faut saluer le coup de théâtre hors norme qui vient bouleverser le film vers la fin. Les dialogues donnent de l'épaisseur aux personnages de la psychologie à cette atmosphère opressante et teinte l'ensemble d'une certaine philosophie. Le personnage incarné par Tom Cruise est attachant, il rend le film véritablement poignant; comme dans tous les films de Spielberg, la dimention humaine et humaniste est profonde. Des questions sur le destin, sur le libre arbitre, ou la sécurité sont posées de manière habiles et pertinentes. Le spectateur en vient à se poser des questions sur Pré-Crime: si une telle institution existait, serait-elle bénéfique à l'humanité? Le film est par moment même dérangeant, faisant allusion à la question sécuritaire des Etats américains. C'est là que se trouvent certaines limites du film: le débat sur le bien fondé de Pré Crime n'est pas posé avec assez d'insistance. Une autre de ces limites serait la rareté des scènes d'actions: on a droit à une poursuite mémorable dans cet environnement futuriste, à la fois nerveuse et bien filmée, mais c'est à peu près tout. Enfin, comme je l'ai dit plus haut, la musique de John Williams est inégale; d'un côté on a cette voix féminine qui colle parfaitement à l'ambiance du film. De l'autre, on a des compositions dans un style de musique classique qui font franchement pâle figures à côté de la qualité du film ou des partitions des autres films du maître. Ce n'est pas, pour moi, le meilleur Spielberg, mais vous trouverez dans Minority Report tout ce qui fait que la science fiction est un noble genre cinématographique: un univers futuriste unique, fascinant; un scénario passionnant et absolument surprenant; une mise en scène magistrale; une dimension philosophique et humaniste; une ambiance ambigüe, sombre et troublante. Je me répète, le film parlera mieux de lui-même que je n'en serais capable: courez le voire! Pour peu que vous aimiez Spielberg ou la science fiction, vous aimerez ce film. Culte dans quelques décénnies?