Je me suis résolu à revoir vite ce film. Non pour admirer à nouveau un chef d’œuvre...Ce qu’il n’est pas… Mais pour mettre au clair mes réflexions, contradictoires, sur ce film assez intriguant, transgressif dans sa conception toute personnelle de la morale.
Cela supposait une mémorisation à peu près sans défaut des situations et des prises de paroles des protagonistes, silence compris.
Dès lors, il m’est apparu clairement que Le personnage central du film était l’abbé, porte-parole du réalisateur Alain Guiraudie et incarnation du titre Miséricorde. Bien d’avantage que Jérémie, le revenant au village, qui va y mettre une belle pagaille. On n’osera quand même pas la comparaison avec Pasolini (Théorème).
Jérémie l’opaque, dont seul Vincent, dans sa lucidité paranoïaque, aura vite démasqué les intentions libidonesques : coucher avec sa mère, Catherine Frot (je n’ai pas su qui de son personnage ou d’elle-même semblait la plus abattue par son rôle), il n’est pas dit qu’il n’y arrivera pas d’ailleurs (suspens !), à défaut d’avoir pu coucher avec son mari, son ancien patron boulanger, non sans avoir essayé au passage de se taper son copain d’enfance. La clairvoyance de Vincent le castrateur lui coûtera la vie.
Dans les trois définitions de la miséricorde, selon le Trésor de la Langue Française Informatisé, deux siéent parfaitement à l’abbé et à son créateur Guiraudie : « La générosité entraînant le pardon, l’indulgence pour un coupable, la bonté par laquelle Dieu fait grâce aux hommes »
Le film va dès lors devenir un gendarmier à la fois cocasse et moraliste (on parle d’un policier mais quid du genre quand ce sont des gendarmes qui mènent l’enquête ?). Avec en point d’orgue, l’adjudant gendarme débouchant en pleine nuit dans la chambre à coucher de l’abbé, qui partage sa couche avec… Jérémie bien sûr.
Hilarité générale dans la salle qui n’a pu détourner son regard du sexe encore en érection de l’abbé nu, sommé de déguerpir du lit. Qui n’avait pas d’autre dessein en le cachant sous ses draps que de fournir un alibi au dit Jérémie…
L’abbé, plus tôt dans le film, avait déjà lâché les chevaux du désir, avec la scène clef de la confession dans le confessionnal, l’abbé confessant à l’assassin confesseur… qu’il n’avait pas envie de le dénoncer.
Petit florilège des aveux de l’abbé : « Emprisonner l’assassin ne ramènera pas Vincent à la vie », « Je pense que l’emprisonnement est pire que la mort », « Il n’est pas dans sa nature d’être un assassin. Je ne pense pas qu’il constitue un danger pour la société ».
« Vous croyez vraiment à l’utilité de punir des assassins ? », demande-t-il à Jérémie. « Ce n’est pas un crime qui doit empêcher la vie de continuer ». Etc... Jusqu’à cette sublime déclaration d’amour. Ce qui l’empêchera, l’abbé, demain comme hier, de le dénoncer l’assassin, « c’est le bonheur de voir l’assassin tous les jours ! »…
L’abbé pousse la miséricorde jusqu’à l’amour fou, au grand étonnement de l’assassin lui-même qui n’en demande pas tant : « J’ai appris à aimer sans retour. Je pourrai l’aimer (l’assassin) pour l’éternité.»
Sur le point de se jeter dans le vide, Jérémie en sera dissuadé par l’abbé qui a trouvé le bon argument pour absoudre en lui tout sentiment de culpabilité. « Si une longue peine de prison ou une peine de mort permettrait de ramener Vincent à la vie, vous l’accepteriez ? Non. Vous arrivez donc à vous arranger avec votre conscience. Et vous y arriverez de mieux en mieux ! »
« Miséricorde » a une conception pas très catholique de la miséricorde. Tant mieux ! « Le film substitue à notre regard un monde qui s’accorde à notre désir », du moins pas le mien cette fois, mais à celui d’Alain Guiraudie, assurément.
Le cinéma ça sert aussi à ça : inventer des utopies, nous libérer des déterminismes du réel, en toute illusion, en toute immunité. Il n’empêche : les prêchi-prêcha fumeux de l’abbé sur le « besoin d’amour, de morts inattendus et de meurtres » (sic), m’ont agacé par leur incohérence et consterné par leurs inconséquences.
Finalement, Guiraudie, avec son film dérangeant, est arrivé aussi à ses fins avec moi : me déranger !
Chapeau bas au passage à l’acteur septuagénaire Jacques Develay, aussi vigoureux dans son jeu sans soutane qu'avec !