Tony Scott et Ridley Scott, deux frères, deux parcours parallèles…
Ils passent tous deux de l’expérimentation flamboyante et géniale au four crépusculaire du cinéma le plus commercial…
Blade runner de Ridley (1982) et The Hunger (Les prédateurs) de Tony (1983) deux merveilles cinématographiques, devenus cultes, traitant du même sujet dans des formes totalement différentes : le temps qui limite la vie, l’amour dévoration de l’autre…
Blade runner grand succès, The Hunger quasi-échec commercial…
The Hunger, à ce titre, est le plus passionnant.
Pourquoi ce désaveux à sa sortie qui fut quasi confidentielle ?
Tony était issu du monde publicitaire et il offrait à voir un premier film quasi expérimental…
L’époque était à la critique du monde publicitaire… De la consommation… Epoque révolue avec le retour en force du bling bling de rigueur (Ipad et autres conneries).
Il fut donc squeezé, malmené par la critique…
Avant que les Inrock et Télérama n’usent de dithyrambes (légèrement à côté de la plaque… les dithyrambes !
Tout est parfaitement maîtrisé dans ce film intelligent…
Une image magnifique nageant dans les brumes bleues du crépuscule des temps immémoriaux…
Et puis le rouge subliminal de la survie et de la prédation…
Alternent les contre-jours intimes et la lumière crue, publique de la rationalité des laboratoires….
Close up sublimes faisant ressortir la matérialité des corps et de l’amour…
La pluie qui tombe en allégorie de l’usure et de la ruine du vieillissement…
Découpage, surdécoupage… Choc des situations…
La musique… Ah la musique !
L’occasion de revoir en entrée Peter Murphy, génial leader du fulgurant Bauhaus (groupe mythique s’il en est !) assénant de sa belle voix grave « Bela Lugosi's dead », humour décalé du réalisateur qui ouvre ainsi un film de vampires !
Magnifique BO mêlant aussi Schubert, Bach, Lalo, Delibe…
Musiques faisant « corps » avec le propos du film !
Rien de gratuit ici !
Des dialogues laissant la place à l’image…
Ce n’est pas un film bavard !
Des dialogues flirtant avec la poésie et le rêve…
Les personnages « réels » (le mari, le flic, l’agent immobilier) sont bien ternes…
Non, le sujet, ici, c’est le temps, le rêve du temps…
Les vrais « vivants » ont 400 ou 2000 ans…
Ou bien s’apprêtent à pénétrer l’éternité !
Les acteurs ?
Le casting le plus improbable : Deneuve, Bowie et Sarandon !
Il fallait repérer leur point commun, le hiératique, le glacial !
C’est là que Tony est vraiment génial !
Et il donne à Deneuve un rôle qui ne comporte, sans doute, pas plus de deux ou trois feuillets…
Tant mieux !
Deneuve et l’anglais, ce n’est pas ça !
Les beaux visages flirtent dès le début du film avec la froideur des tombeaux…
Leur perfection appelle la poussière !
Miriam beauté du diable et démon gothique effectue ses meurtres avec raffinement.
John acculé à l’urgence des rides, des flétrissures de la peau, des cheveux qui restent dans les doigts se trouve acculé à l’innommable de l’enfer… On exorcise le mal, dans le film, en ne le nommant pas. On use d’un subterfuge, on tourne autour du sujet, on désigne la progéria qui génère un vieillissement incompréhensible…
Le vampire de 1983, évoqué ici de façon vertigineuse par Tony Scott n’est autre que le SIDA…
Et Sarah, justement tente de combattre le fléau et elle y succombe… Sarah dont la raison se brouille, se noie dans la passion… Myriam lui a offert l’Ankh symbole d’éternité… Qui tue !
Rêve et cauchemar baroque et grandiloquent, Les Prédateurs, film d’auteur expérimental, certes daté, mais dont les résonances actuelles, la force inégalée, montrent bien qu’il s’agit d’un authentique CHEF-D’OEUVRE…