La force d’espérer.
Voilà des années qu’on nous annonce « c’est le dernier Ken Loach ». Je ne sais pas si ces 113 minutes sont effectivement les dernières réalisées par le génial britannique – souvenez-vous, Moi Daniel Blake, Jimmy’s hall, La part des anges, Route Irish, Le Vent se lève, Break and roses… parmi tant d’autres chefs d’œuvre -, mais toujours est-il que ce jeune homme de 87 ans a encore de quoi enchanter son public. TJ Ballantyne est le propriétaire du "Old Oak", un pub situé dans une petite bourgade du nord de l’Angleterre. Il y sert quotidiennement les mêmes habitués désœuvrés pour qui l’endroit est devenu le dernier lieu où se retrouver. L’arrivée de réfugiés syriens va créer des tensions dans le village. TJ va cependant se lier d’amitié avec Yara, une jeune migrante passionnée par la photographie. Ensemble, ils vont tenter de redonner vie à la communauté locale en développant une cantine pour les plus démunis, quelles que soient leurs origines. Primé quatre fois à Cannes et trois fois aux César, l’immense cinéaste britannique revient donc avec son un regard d’une maturité inégalée sur le monde moderne et ses soucis. Sans doute le film le plus bouleversant et le plus juste de cette année 2023.
Mon témoignage sera simple. Lorsque l’écran s’est éteint, j’avais le cœur gros et la larme à l’œil. Je me suis levé et j’ai regardé les membres du public. Tous avaient les yeux embués, terrassés par l’émotion provoquée par ce film admirable et mais aussi la joie d’avoir vu un aussi beau film, d’avoir partagé quelques instants – somme toute trop courts -, ce cri de colère et d’humanité. Oui, tous les personnages du film ont tout perdu, ou presque, et trouvent encore et toujours la force d’espérer. Bien que Loach met en scène ce que notre société compte de pire et de meilleur, il évite tout manichéisme, tout simplisme, ce qui nuirait totalement à son message. Après avoir pris à bras le corps les conditions de vie des ouvriers, l’avortement, l’addiction, le traitement des personnes en situation de handicap, la grande détresse sociale, il nous parle avec une rare sincérité à la fois de l’accueil réservé aux réfugiés en Angleterre, notamment dans les milieux ruraux et du sentiment d’abandon dont peuvent justement souffrir les habitants de ces milieux, en comparaison avec ceux des grandes villes. Ce faisant, le cinéaste prend garde à ce que chaque point de vue comporte une part de vérité. Un chant d’espérance orchestré magistralement par un des plus grands cinéastes de notre époque.
Loach, le magicien, a aussi un pouvoir exceptionnel, celui de découvrir des acteurs et actrices formidables. Dave Turner n’avait tenu jusque là qu’un petit rôle dans Sorry, we missed you – le précédent Ken Loach – et son talent, sa présence, sa justesse éclatent au grand jour au côté d’une débutante, Ebla Mari, bouleversante. Ajoutons à ce haut d’affiche Claire Rodgerson et Trevor Fox. Mais tous les seconds rôles syriens comme anglais sont absolument parfaits. Ne ratez sous aucun prétexte ce film qui remet sans cesse les hommes debout. Et rassurez-vous, le « vieux chêne » est plus vert qu’on ne le dit puisque la rumeur annonce un nouveau film, Harvest, avec Caleb Landry Jones pour l’année à venir… A suivre !