Il est des œuvres cinématographiques que l’on aborde avec un espoir secret d’évasion, de cette douce immersion dans un monde qui n’a de réalité que celle, mouvante, des reflets sur l’écran. Here – Les plus belles années de notre vie de Robert Zemeckis promettait cela : une plongée onirique dans les souvenirs vibrants d’une existence par le prisme d’une innovation technologique fascinante, celle-là même qui rajeunit Tom Hanks et Robin Wright au fil des décennies. La promesse initiale ? Une traversée poétique et sensorielle de cette "pièce unique" qu’est le salon d’une famille ordinaire, théâtre immobile des vies changeantes et des affections muettes, entre passé et futur.
Mais sitôt que l’œuvre se déroule devant nous, sitôt que l’espace intime de ce salon s’incruste de mille images fugitives, nous sentons poindre un désenchantement inattendu. Le cinéma, par ses artifices et son pouvoir de suggestion, possède en effet cette capacité singulière de capter le caractère éphémère et précieux des choses. Or, ici, ce que l’on aurait espéré sensible et nuancé ne devient qu’un simulacre de vies lissées, une mécanique bien trop visible où la beauté de l’éphémère s’efface sous le poids de l’artifice. L’œil, perdu entre ces juxtapositions d’instants évanescents, s’efforce de trouver un fil conducteur, une raison d’être au récit. En vain.
Car dans ce dispositif où le passé, le présent et le futur se bousculent en un désordre calculé, un trouble naît, non pas celui d’une mémoire retrouvée, mais d’une absence d’empathie pour ce qui défile. Et si l’image, ces visages que l’on rajeunit, ces scènes du quotidien que l’on sublime, devient elle-même insipide, alors tout ce qui aurait pu exister se dissout en une contemplation stérile. Les acteurs, que l’on espérait vibrants et habités, ne sont que des esquisses, des ombres de ce qu’ils furent, comme si le numérique les avait rendus étrangers à eux-mêmes.
L’atmosphère elle-même, confinée à ce salon, semble étrangement muette, d’une fixité glaçante. En un huis clos dépourvu de tension, se déroulent des souvenirs de familles qui, dans leur simplicité apparente, sont censés incarner une certaine universalité des vies ordinaires. Mais en se détournant de ce que l’ordinaire a de sublime, le film s’éloigne de nous. Les dialogues, teintés de cet attendrissement forcé, ne révèlent rien d’une grandeur humaine, et toute tentative d’émotion semble s’échouer sur le rivage stérile d’un récit sans relief. À chaque instant, l’image rappelle moins les œuvres passées de Zemeckis que la froideur d’un procédé qui aurait oublié l’âme derrière l’image.
Et ainsi, alors que je tentais de m’imprégner des infimes résonances de cette existence contée, de ressentir enfin ce souffle qui habite les vies, c’est une autre sensation qui s’installa, sournoise, irrésistible, m’amenant à poser, presque sans un bruit, un pied hors de la salle.