Dans une petite ville industrielle américaine comme il y en a tant, au sein d'une population ouvrière, un groupe d'amis soudé par un travail difficile et des trajectoires similaires. En son cœur, Michael, Nick, Steven, trois gars plein de vie, s'apprêtent à vivre l'enfer. La guerre du Vietnam. Remarquable d'efficacité, le film de Cimino se découpe en trois parties bien distinctes :
1. Avant le Vietnam. Temps de l'insouciance, temps de la vie, ce premier chapitre qui pourrait sembler tirer en longueur est en fait un récit de paix. Chacun mène alors sa petite vie, envisage l'avenir et profite des joies du quotidien. Il s'agit sans aucun doute du moment le plus tranquille de tout le film. Pour cause : Pas de nuage à l'horizon, tout est lumineux, rien de terrible ne semble vraiment s'annoncer. S'il n'y avait pas ce soldat morose qui lui, sait ce qui attend Michael, Nick et Steven, en rappelant par sa seule présence que le bonheur éprouvé par cette bande de jeune est provisoire, on se prend de plaisir à suivre la tenue du mariage de Steven. Quel beau moment ! S'il pouvait durer toujours...
2. Pendant le Vietnam. Voyage en un enfer qui imprimera durablement sa marque sur les destins des protagonistes. Contrairement à Apocalypse Now, sorti également en 1979 - seulement quelques mois plus tard -, les combats ne forment qu'une part très réduite de ce moment - le "peu" qui est montré suffit néanmoins pour être saisi d'effroi, et démontre le caractère atroce de la guerre -, tout entier consacré aux sévices endurés par les soldats américains prisonniers des forces de l'APVN (Armée Populaire de l'Armée Vietnamienne) et, dans une moindre mesure, à l'état du Vietnam à la fin des années 60, au moment de l'offensive du Tết. Alors à la merci de la brutalité, du sadisme de leurs geôliers, Steven (Joué par Savage), Michael (De Niro), Nick (Walken) doivent trouver un moyen d'échapper à une mort inéluctable, au "jeu du pistolet", sorte de roulette russe infâme sur laquelle chacun parie sont argent sur la mort ou la vie de l'un ou l'autre des prisonniers, que l'on force sous la menace des armes, au moyen de coups si nécessaire, à participer. Au-delà de son caractère absolument insupportable, ce long moment de violence et de tension est une merveille de cinéma. Tous les acteurs y sont fabuleux. Cette absolue horreur achève de décomposer ce qu'il restait des trois amis, qui trouvent pourtant un moyen de s'en sortir grâce au sang-froid extraordinaire d'un Michael que la guerre a définitivement révélé comme une force à toute épreuves, autant que comme une sorte de grand frère pour Steven et Nick, s'efforçant à veiller sur eux. Mais à quel prix ? Chacun est traumatisé. Les parcours se séparent ici ; Nick est détruit psychologiquement et n'apparaîtra plus avant un temps, quant à Steven, on ne sait encore ce qu'il devient.
3. Le temps du retour, contrarié par les ravages physiques et psychologiques de l' "expérience" traumatisante vécue par les amis. Chacun incarne ici la "situation type" d'un soldat du Vietnam. De retour chez lui, Michael, que toute joie, tout sourire semble avoir définitivement quitté, ne parvient pas à retrouver une place dans la vie civile. Un Michael est mort, le nouveau Michael est hanté par les démons du Vietnam. La Cavatina de Stanley Myers, peut-être l'un des plus beaux morceaux jamais écrits pour la guitare [?] - en tout cas, une partition absolument brillante -, permet d'appuyer ce qui se joue : Nous ne sommes plus dans le domaine du "démonstratif", mais du "non-dit". La Cavatina accompagne un Michael qui ne trouve pas le sommeil, un Michael qui pense sans cesse au Vietnam, un Michael plus seul que jamais car il ne parle pas ; comment le pourrait-il ! De façon subtile, De Niro montre ici qu'une personne qui a été en guerre n'en revient jamais ; de retour, elle conserve en elle ses traumatismes, et se trouve incapable de parler avec ses proches de son expérience. Comment comprendraient-ils ce qu'est l'enfer, eux qui vivent en paix, eux qui nagent dans le bonheur sans s'en rendre compte ? Ce bonheur, cette insouciance dont ont été extraits les trois amis, et qui semble maintenant bien loin, est pourtant là, sous les yeux d'un Michael incapable de le saisir. Après l'enfer, tout semble si différent ; le décalage, lui, est réel. La Cavatina semble tout emplir de son air mélancolique. A raison. L'après, c'est qu'il n'y a pas d'après. Chacun doit composer avec. Devenu infirme, Steven voit son entourage complètement chamboulé, et Nick... il n'en reviendra tout simplement pas. Dernière scène d'une violence extrême, évidemment insupportable et malheureuse, elle symbolise la ruine : Quand la vie est victorieuse il y a naissance. Mais quand, au contraire, elle n'est pas victorieuse, quand elle est écrasée, il y a mort. Aboutissement de la critique de la guerre formulée par le métrage, cette séquence n'est pas qu'un point d'orgue à une vie ; sa portée est universelle : D'une guerre, jamais il n'y a de gagnant. Seulement des victimes. Et de la souffrance.
Alors, que reste t-il ? Se réunir. Aller de l'avant, ou du moins, essayer. Après un voyage au bout de l'enfer, peut-être est-il possible d'envisager une timide reconstruction qui ne sera jamais, évidemment, que partielle. Personne ne ressort indemne de l'enfer, pas même les proches des revenants. Que raisonne la Cavatina, exprimant la misère des Êtres Humains ; s'élançant, aux cieux, tel un chant d'espoir. A la fin, c'est tout ce qu'il reste.