Jean-Jacques Annaud s’essaie à un nouveau genre. Après l’animalier (l’Ours, 2 frères et plus tard le Dernier loup), le thriller (le nom de la rose), la comédie (sa Majesté Minor), l’historique (7 ans au Tibet, la guerre du feu) et bientôt le documentaire (Notre Dame en feu), il fait ici dans le film de guerre.
Ce qui m’a d’abord interpellé c’est qu’il a un acteur principal tout aussi néophyte que lui dans cet exercice : Jude Law. Cela peut paraitre incongru tant l’Anglais colle davantage aux comédies romantiques, voir un peu à l’action, mais c’est là qu’on voit si c’est un coup de maître ou pas. Bon sans aller jusque-là il faut avouer que Jude s’insère bien au récit et ne dénature rien, juste les esprits chagrins qui regretteront de ne pas avoir un Russe. Rachel Weisz à ses côtés est une bonne pioche, Ed Harris en face est plus qu’adéquat, complété par Fiennes (pas Ralph, Joseph ici), Bob Hoskins et Ron Pearlman ça a de l’allure et ça colle bien. L’accumulation de noms est souvent un camouflet pour cacher la vacuité d’une œuvre cinématographique, pas là, et là aussi c’est assez rare pour être souligné : ces acteurs jouent juste et ça sert l’ensemble.
Bon après le duel repose plus sur une légende construite par la propagande russe, dont l’armée se prenait une rouste jusqu’à l’hiver 42, que sur la réalité. Les snipers se déplaçaient souvent en groupe, ou au moins à 2 car il fallait surveiller les environs, et la confrontation presque « personnelle » ne pouvait avoir lieu en de telles circonstances, même si Vassili a effectivement tué d’autres snipers. Néanmoins ça apporte un intérêt non négligeable au long métrage. L’ambiance « traque » et un côté FPS qui peut plaire aux adeptes geek modernes amène une tension et un certain suspens qui rehausse l’intérêt, sans cela le contenu serait assez creux et on décrocherait vite. Pour les faits : dans l’opération Barbarossa cette 1ère défaite allemande fut un tournant dans la guerre, durant 6 mois elle déboucha sur une reddition et 400 000 morts nazis (pour presqu’autant d’étrangers enrôlés de force). Le bilan est pire côté russe, les prisonniers iront dans des camps et ne seront libérés qu’en 1955.
On comprend, vu le nombre de survivants, que les faits puissent fortement être arrangés. Zaitsev aurait dégommé 200 soldats, et les snipers qu’il a formé : plus de 3000. Aucune trace du major König dans les archives ou dossiers allemands, ni davantage d’école de tireurs qu’il aurait dirigé donc. Bref, Annaud a bien fait de s’en tenir à la légende, au moins ça rend le récit intéressant. D’ailleurs, celui-ci est un peu long, 20 minutes de moins sur les 2h10, en enlevant quelques longueurs de reconstitution de guerre peut-être, auraient pu être bénéfique. La scène d’amour assez décriée casse au contraire la morosité ambiante, même si ça reste austère, un rythme lent mais maitrisé (un peu façon Kubrick), une trame assez prévisible au final (normal avec des faits réels), une ambiance dépouillée et réaliste, une musique qui va, une VF honnête, une reconstitution soignée… Bref pas grand-chose à redire.
Étrangement je mets souvent 3-3.5 aux films de Jean-Jacques Annaud, une preuve de qualité durable pour un des meilleurs réalisateur français (si ce n’est le meilleur, le succès ne démérite jamais). De plus, il a le mérite de tenter des choses et de s’aventurer dans des genres différents très souvent. Puis là ça a au moins le mérite de mettre en lumière une bataille majeure de la Seconde Guerre mondiale que l’on évoque que trop peu.