Le titre est trompeur, et le réalisateur Gabriel Le Bomin aurait pu batailler pour qu’on lui en donne un autre, moins « bateau » car non, « De Gaulle » ce n’est pas le premier biopic de De Gaulle ! L’action se déroule sur un peu plus de 30 jours, c’est peu au regard d’une vie. Mais c’est vrai que ces 30 jours auront fait basculer à la fois le destin de Charles de Gaulle et aussi le destin de la France du XXème siècle. « De Gaulle » est un film qui passe bien, très rythmé et monté de façon intelligente. L’action se déroule sur deux fronts, si j’ose dire. Il y a la Grande Histoire, l’histoire politique et militaire du fameux mois de juin 1940 qui se joue à la fois à Paris, à Londres et à Bordeaux. Et puis il y a l’autre Histoire, celle des français et de l’exode. Elles sont toutes les deux leur forces et leur intérêt mais le choix de monter en alternance l’une et l’autre permet à De Bomin de proposer un film équilibré, qui montre à la fois l’Homme d’Etat mais aussi l’homme tout court. Quelques flash back viennent ponctuer le long métrage, toujours au sujet d’Anne, sa fille trisomique, qui focalise toute l’attention et l’affection de ses parents, des scènes courtes et touchantes mais pas larmoyantes. La réalisation, très propre, cède parfois à l’emphase et au grandiloquent, mais avec un sujet comme De Gaulle, c’était difficilement évitable ! Il y a des scènes fortes, on pourrait évidemment évoquer la fameuse allocution du 18 juin, proposée par le film in extenso. Mais j’en relèverais deux autres. La première, cette réunion du conseil ou s’affrontent les défaitiste (Weygand, Pétain) et ceux qu’on qualifiera bientôt de Gaulliste, arbitré par un Paul Reynaud dépassé par les évènements : tous les enjeux de la défaite de 1940 et de la future collaboration sont là, sous nos yeux, et c’est limpide. La seconde, c’est la scène du bateau, très forte, où la peur est tellement palpable qu’on pourrait la toucher avec le doigt. La musique est discrète, la reconstitution assez soignée, notamment dans les scènes d’exode. Elles ne sont pas impressionnantes au sens premier du terme mais nul besoin de monter des colonnes entières de gens en train de marcher pour faire passer l’émotion, quelques scènes bien filmées, même minimalistes, peuvent suffire. Au casting, beaucoup de comédiens excellents comme Olivier Gourmet, Laurent Stocker, Gilles Cohen, ou encore Catherine Mouchet. Mais c’est évidemment le duo Isabelle Carré/Lambert Wilson qui était attendu au tournant. Isabelle Carré d’abord, campe une Yvonne de Gaulle courageuse et amoureuse, qui cherche à fuir comme des milliers de françaises, sans savoir si elles reverront un jour leur mari. Sa relation avec sa fille Anne est très forte. Elle a refusé son internement (parce qu’elle en avait les moyens, bien-sur) et bien lui en a pris quand on sait ce que la France de Vichy a réservé comme sort aux handicapés mentaux pendant l’Occupation (pour ceux qui l’ignorent, elles les a tout simplement laissé mourir de faim livré à eux même). Elle est très bien Isabelle Carré et elle nous offre une « Tante Yvonne » très différente de l’image surannée qu’on a eue d’elle après la Guerre. Lambert Wilson, affublé de prothèse qui lui donne un vrai air de De Gaulle (de profil c’est bluffant) sans le dénaturer, fait de son mieux dans un rôle hyper difficile. Ce n’est pas un hasard si le cinéma français ne s’était jamais aventuré du côté du Grand Charles, sauf de façon anecdotique. Son phrasé, son attitude, tout est difficile à reproduire (sans singer) tant De Gaulle est inscrit dans la mémoire de chaque français. Il incarne un De Gaulle inédit, je dois dire, amoureux de son épouse (qu’il lutine en scène d’ouverture !), immensément attaché à ses enfants et à sa petite Anne, préoccupé par leur sort comme il est préoccupé par le sort de son pays. Montrer ce De Gaulle là, jamais montré avant, est un parti pris qui se défend. Comme je l’ai dit, le scénario oscille entre le Grande Histoire et la petite, chacune répondant à l’autre. On pourrait se dire que le périple d’Yvonne et des enfants ne fait pas le poids face aux enjeux que son mari tente de faire valoir, mais Yvonne est un symbole : elle représente tous les français, terrifiés et déboussolés par les décisions prises justement par le Gouvernement de Paul Reynaud. Toute la partie politique est très claire, très pédagogique même, et assez cruelle avec Paul Reynaud, montré comme une girouette sous l’influence de sa femme. C’est un peu injuste quand même, être Président du Conseil en 1940, c’était le pire moment pour faire de la politique ! Le personnage de Pétain est assez bien croqué, je dois dire : plein de morgue, anti républicain, antisémite bon teint (comme beaucoup de français du reste, les 4 ans d’occupation le prouveront). Le De Gaulle que le scénario propose est à l’image du personnage, volontaire, pugnace, parfois exaspérant, poussant à la roue pour obtenir ce qu’il veut (de Churchill surtout), adepte du « fait accompli », plein d’emphase et le verbe haut, de ce côte là pas grand chose de subversif. Montrer un De Gaulle plus hésitant, plus désemparé, plus indécis aurait été audacieux, et probablement mal reçu par un public encore très majoritairement « gaulliste ». Le choix de se focaliser sur ce moment là de la vie de Charles de Gaulle, plutôt que d’évoquer la Libération, l’après-guerre ou sa prise de pouvoir en 1958, est plus consensuel, c’est certain. Mais historiquement, c’est de loin la partie la plus intéressante et on peut considérer ce film comme le miroir des « Heures Sombres » ce très bon film de 2018 qui montre exactement les même évènements, mais côté anglais. Je ne m’y attendais pas vraiment, mais le film de Gabriel de Bomin tient bien la route et c’est plutôt une bonne surprise. On peut le trouver consensuel et un peu ampoulé, mais en dépit de ces deux défauts que je lui reconnais volontiers, c’est un film non dénué d’intérêt.